Dans la dernière édition de L’Heuristique, je publiais le troisième article d’une série sur mon plus récent voyage à vélo vers l’océan Arctique. Cet article y fait suite.

Carte du trajet parcouru – Image modifiée par Félix-Antoine Tremblay, basée sur l’image de Carol Spears, distribuée par Wikimedia
Yukon

Après quelques heures de sommeil sur un banc de Dawson City, je me suis dirigé vers la maison de mon hôtesse du site Couchsurfing, à cinq minutes de marche. Suite à une courte discussion, je suis retourné me coucher jusqu’en après-midi. Je me donnais trois jours pour reprendre des forces avant de poursuivre en direction de Vancouver, en Colombie-Britannique (C-B).

Le 7 juillet 2018, 87 jours après avoir quitté Montréal, j’ai parcouru pour une troisième fois le tronçon de 40 kilomètres reliant Dawson City à Dempster Corner, le point de départ de la route Dempster. J’avais commencé ma journée relativement tard. Je m’y suis donc arrêté pour dîner. Peu de temps après mon départ, j’ai été rattrapé par Chris, un cycliste de l’Ontario qui revenait également de Tuktoyaktuk. Nous avons roulé ensemble jusqu’au camping de Moose Creek, où nous avons dormi dans un abri de cuisine. Ce soir-là, le ciel était voilé. Il y avait visiblement un feu dans les parages, mais aucun d’entre nous n’en avait entendu parler.

Fleuve Yukon, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À notre réveil, le vent s’était levé. Notre progression était significativement ralentie, mais la fumée s’était pour le moins dissipée. Heureusement, à deux, nous pouvions nous relayer pour couper le vent. Nous avons roulé ensemble jusqu’à Carmacks, où nous sommes arrivés le lendemain, un peu après 13 h. Ici, Chris continuait sur la route Klondike, vers Whitehorse, alors que je prenais la route Robert Campbell. Celle-ci devait être pavée jusqu’à Ross River, puis se poursuivre en gravier jusqu’à Watson Lake, 354 kilomètres plus loin. Brent, le cycliste ontarien que j’avais croisé à deux reprises plus tôt dans la saison, se trouvait actuellement dans la région. Nous nous sommes donné rendez-vous le 10 juillet, en soirée, à Ross River. Cela me laissait une trentaine d’heures pour parcourir les 235 kilomètres qui m’en séparaient.

Avant de quitter Carmacks, je devais dîner, faire le plein d’essence et passer au poste de la Gendarmerie royale du Canada pour y récupérer un colis. Je suis parti vers 16 h et j’ai roulé jusqu’au coucher du soleil. J’ai installé mon campement au bord de la route, au nord du lac Little Salmon. Mon objectif se trouvait alors à 145 kilomètres de ma position. J’étais confiant, mais j’avais obtenu plusieurs informations conflictuelles au sujet de la route Robert Campbell. Je ne tenais donc rien pour acquis.

Fleuve Yukon, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Finalement, bien qu’elle n’ait été pavée que jusqu’à Faro, soit cinquante kilomètres de moins que prévu, la route était aisément carrossable. Je suis arrivé à ma destination vers 20 h. Brent m’attendait à la station-service, après un passage sur la route North Canol. J’ai eu le plaisir de lui annoncer que nous étions invités à l’église du village. Jean-Claude et Irène, deux missionnaires du Nouveau-Brunswick, s’étaient arrêté(e)s alors que je dînais au bord de la route. Le couple m’avait invité à passer la nuit dans leur demeure de Ross River et avait accepté que Brent se joigne à nous.

Pendant la soirée, Jean-Michel, mon hôte du site Warmshowers, à Watson Lake, m’a informé qu’un important brasier faisait rage douze kilomètres à l’ouest de la route Robert Campbell. Un avertissement d’évacuation imminente avait été diffusé pour les 10 structures situées entre les kilomètres 30 et 58 de la route. Brent et moi devions croiser l’incendie trois jours plus tard. Nous n’aurions pas de réseau cellulaire d’ici là. Nos alternatives étaient d’attendre ou d’emprunter la route South Canol jusqu’à Johnson’s Crossing, un détour de 170 kilomètres.

Lac Coffee, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Nous avons choisi de tenter notre chance et poursuivre notre chemin comme prévu. Après deux jours sous la pluie, nous sommes arrivés au camping du lac Simpson. Pour la dernière fois de nos aventures respectives au Yukon, nous avons campé dans l’abri de cuisine, doté d’un poêle. Nous étions alors au kilomètre 81 de la route Robert Campbell, soit 23 kilomètres au nord de la zone visée par l’avertissement d’évacuation imminente.

Lac Finlayson, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Pour la dernière journée, la chance était de notre côté. Le vent soufflait de l’est et il pleuvait par intermittence. Le feu n’a donc pas été un obstacle et nous avons rejoint Jean-Michel au centre touristique, en début d’après-midi. Nous avons passé les deux nuits suivantes chez lui. Deux mois auparavant, c’est ici que Brent et moi nous étions rencontrés. Philippe, propriétaire de l’atelier de vélo mobile du Yukon, était d’ailleurs lui aussi de passage à Watson Lake, comme au mois de mai.

Nord de la C-B

Le matin de notre départ, nous avons fait nos adieux à Jean-Michel et avons poursuivi notre chemin en direction de la C-B. Une centaine de kilomètres plus loin, Brent s’est arrêté pour la nuit, au même endroit où il avait campé à son premier passage. Pour ma part, j’ai continué jusqu’à Coal River. Brent remontait aux Territoires du Nord-Ouest le long du sentier Liard, vers Yellowknife, alors que je me dirigeais vers le sud. En soirée, j’ai croisé plusieurs troupeaux de buffles qui broutaient aux abords de la route.

Rivière Coal, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le lendemain, j’ai visité les sources chaudes de Liard dont on m’avait parlé pour la première fois le 21 juin 2013, à Nelson, en C-B. Mathieu, un chercheur d’or québécois travaillant au Yukon, m’avait alors fait promettre de passer les voir lorsque je serais dans la région. Il est depuis retourné vivre en Estrie avec sa femme et leur fille. Je n’ai pas été déçu. Malgré leur popularité, ces sources chaudes ont gardé leur aspect naturel, à la différence des sources plus au sud (Miette, Radium, Banff Upper, etc.), lesquelles ont été remplacées par de vulgaires piscines de béton.

Sources chaudes de Liard, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’aurais aimé y rester plus longtemps, mais je devais absolument arriver à Vancouver avant que les feux de forêt ne ravagent la province. J’ai soupé et je me suis préparé à plier bagage. À ce moment, j’ai aperçu Chris qui marchait vers moi. Il roulait en direction de Calgary, en Alberta, mais comptait passer la nuit dans le parc. Nous nous sommes donc fait nos adieux et j’ai poursuivi mon chemin.

Buffle, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Pendant une semaine, il a plu et la température oscillait entre 10 et 15°C. Je relativisais en me disant que cela me protégeait des feux de forêt, et j’avais raison. Lorsque je suis arrivé de l’autre côté des Rocheuses, à Mackenzie Junction, il faisait soleil, mais le ciel était voilé et l’air sentait la fumée. J’ai campé au centre touristique et, en matinée, j’y ai demandé des informations quant aux incendies.

Mile 0 de la route de l’Alaska, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Les nouvelles étaient très mauvaises. Il y avait des feux tout au long de mon trajet, jusque dans l’état de Washington. Le pire endroit était la ville de Peachland, littéralement entourée de flammes. J’y serais dans une semaine. D’ici là, je comptais emprunter plusieurs routes forestières où je n’aurais pas de réseau cellulaire, ce qui serait problématique en cas de feu.

Pour deux jours, je suivais toutefois la route Cariboo, où on m’arrêterait en cas de danger. La fumée était de plus en plus dense, mais la situation demeurait meilleure que celle que j’avais vécue en juillet 2017 près de Canmore, en Alberta, alors qu’il neigeait de la cendre. Cela dit, à l’époque, c’est justement la région Cariboo qui brûlait. Ironiquement, rouler dans les régions calcinées réduisait aussi le risque d’incendie.

Carte de feux de forêt, Colombie-Britannique (15 août 2018) – Image par BC Wildfire Service
Région de Cariboo

À Quesnel, je quittais les routes passantes pour suivre la West Fraser, une route de gravier. Je devais retourner sur la rive est à Soda Creek, 90 kilomètres au sud. J’ai soupé en ville, puis j’ai fait le plein d’eau avant de partir vers l’inconnu. Quatre kilomètres après avoir traversé le pont de Quesnel, j’ai toutefois croisé un panneau indiquant un détour au pont du ruisseau Narcosli. Sachant que la route West Fraser est la seule sur cette rive, j’ai arrêté plusieurs automobilistes pour leur demander des informations. Selon chacun d’entre eux, le pont était détruit et le détour était long d’une vingtaine de kilomètres et passait dans la forêt plutôt que le long de la rivière.

Route West Fraser barrée au ruisseau Narcosli, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Avec regret, j’ai choisi de ne pas risquer de me retrouver coincé au milieu de nulle part et j’ai rebroussé chemin. Quelques kilomètres avant le village de Kersley, Paul, un automobiliste, s’est arrêté à ma hauteur pour m’inviter à dormir. Je n’avais pas pris ma douche depuis une semaine et il faisait maintenant 40°C en après-midi. J’étais couvert de poussière et de crème solaire, je ne pouvais donc pas me permettre de refuser une telle offre.

Je suis arrivé chez lui vers 21 h. Lui et sa femme possédaient un ranch et je serais hébergé dans le dortoir dédié à leurs employé(e)s. Au chant du coq, le déjeuner était servi dans le bâtiment principal. J’étais choyé. Sans le savoir, j’avais été invité dans un bed & breakfast. Après avoir lavé mes vêtements, je leur ai fait mes adieux. Il était à peine 9 h et il faisait déjà très chaud. On annonçait que les prochaines semaines seraient particulièrement chaudes et sèches, et ce, dans une région normalement aride.

Plusieurs fois, j’ai dû m’arrêter à l’ombre pour me rafraîchir. Vers 15 h, la température a atteint 45°C. Lorsque je suis finalement arrivé à Williams Lake, j’ai fait une longue halte au Subway. Ici, je commençais ce que je savais être une des plus difficiles aventures que j’avais tentées à ce jour. Durant les 48 prochaines heures, je roulerais dans le canyon de la rivière Fraser, au moment le plus chaud de l’année. Pour en sortir, je devrais faire l’ascension du col de Cougar Point, d’une moyenne de 16 % de pente sur cinq kilomètres, avec des pointes à 23 %.

Fleuve Fraser, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À 18 h, je suis finalement ressorti dehors. La chaleur semblait encore plus accablante, après avoir passé deux heures dans un espace climatisé. Je suis allé à l’épicerie, j’ai rassemblé mon courage et j’ai entrepris la lente ascension de la route Dog Creek, culminant ici à près de 900 m. Une fois passé le sommet, j’ai été récompensé avec une longue pente qui m’a permis d’atteindre une vitesse de 76 km/h, la plus élevée de la saison.

Record de vitesse pour la saison 2018 – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Quelques kilomètres plus loin, j’ai salué de la main une vieille dame arrosant son jardin. Lorsqu’elle m’a rendu la pareille, j’ai sollicité des informations sur la route. Après quelques minutes de discussion, elle m’a invité à faire le plein de fruits et légumes dans son jardin. Alors que je procédais, son fils est arrivé et m’a demandé si je désirais camper chez eux et elles. Il était à peine 19 h 30 et je comptais rouler tard en soirée afin de profiter de la fraîcheur relative. L’offre d’une douche, d’un second souper ainsi que de bonne compagnie m’a toutefois convaincu et j’y ai passé la nuit.

À 6 h, j’étais déjà debout. D’une part, je devais ranger ma tente avant la rosée. D’autre part, je devais compenser mon retard de la veille. J’ai fait mes adieux à la famille Biffert et je me suis dirigé vers le fond du canyon. Quelques kilomètres plus loin, à Springhouse, l’enrobé bitumeux a laissé place à un mélange de gravier et de sable, parfois mal compacté. La prochaine ville sur ma route, Cache Creek, se trouvait à une distance de 245 kilomètres. Je croiserais cependant les communautés autochtones d’Alkali Lake, de Dog Creek, de Canoe Creek et de Pavilion Lake.

Pont vers Gang Ranch, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je buvais désormais jusqu’à 15 L d’eau par jour et je devais donc constamment remplir mes gourdes afin de ne pas en manquer. Je pouvais transporter au plus 5,25 L d’eau et j’ignorais quels ruisseaux et plans d’eaux étaient asséchés à cette période de l’année. Je tenais donc pour acquis que chacun d’entre eux le serait. L’ombre aussi se faisait rare, puisque seule la crête de chaque côté du canyon est couverte d’arbres.

Oasis près de Canoe Creek, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je me suis arrêté à Dog Creek, sur le terrain de l’école primaire, pour dîner à l’abri du soleil. J’ai rempli mes gourdes dans le ruisseau du village et j’ai repris mon chemin. La température était comprise entre 40 et 45°C. Je cuisais au soleil et je devais prendre des pauses de plusieurs minutes sous chaque arbre que je croisais. À quelques kilomètres de Canoe Creek, j’ai découvert une oasis où j’ai remplacé toute mon eau, potable ou non, par de l’eau fraîche. Après coup, je me suis assis dans l’eau, profonde de quelques décimètres. J’aurais pu y passer le reste de la journée, mais je souhaitais atteindre le pied du col de Cougar Point avant la tombée de la nuit. Je devais impérativement effectuer cette ascension en matinée, alors que la crête du côté est du canyon me protégerait du soleil.

Région de Thompson Okanagan

J’ai dîné une seconde fois à Canoe Creek, puis j’ai poursuivi mon chemin sans tarder. Lorsque je suis arrivé à Big Bar Guest Ranch, la nuit était déjà tombée. Au moment où je passais devant la guérite, un automobiliste venait de s’engager sur la route. J’ai profité de cette occasion pour demander à refaire mes réserves d’eau potable. Vers 22 h, je suis arrivé à Jesmond, où est situé le bureau de poste de la région. L’idée de descendre les pentes abruptes de la route Big Bar Ferry dans le noir ne me plaisait pas et j’ai donc choisi d’y camper. À ma surprise, j’ai trouvé un téléphone public offrant même l’accès à Internet sans fil. Dès mon réveil, à 5 h (8 h, heure de l’Est), j’ai donc donné signe de vie à ma famille.

Route High Bar, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Alors que je descendais vers le fond du canyon, mon anxiété était à son comble. Je savais que je devrais remonter tout cela, et encore plus. La route High Bar bifurque tout juste avant le traversier de Big Bar, où elle longe la rivière Fraser sur une vingtaine de kilomètres. Ici, le désert se couvre de verdure. Les plateaux cultivés sont irrigués par la rivière et ses affluents. En s’approchant de la section la plus accidentée du canyon, quelques ruisseaux d’eau limpide, et visiblement non contaminée par l’agriculture, croisent la route.

Canyon Fraser, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Vers 9 h, j’ai atteint le pied du col. Le soleil se trouvait toujours sous la crête, mais il faisait tout de même près de 30°C. J’ai avalé un gel caféiné et j’ai amorcé la lente et douloureuse ascension. Il m’était impossible de monter les deux premiers lacets du col en selle. La pente était trop forte et la surface excessivement mauvaise. Même en marchant, il était difficile de générer suffisamment de traction pour pousser mon vélo. J’allais même trop lentement pour mon tachymètre. Plus tard, j’ai pu déterminer que je me déplaçais à 1,5 km/h.

Route High Bar, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Au sommet du second lacet, j’ai été forcé d’admettre que, à ce rythme, je ne parviendrais jamais au sommet avant midi, moment où le soleil atteint son zénith. À ce moment précis, un pick-up m’a dépassé. Son conducteur a offert de me transporter jusqu’au sommet. C’était une offre difficile à refuser, ce que j’ai tout de même réussi à faire. En cas de problème, je pourrais toujours abandonner mon vélo et me réfugier sous les arbres de la crête.

Route High Bar, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai cependant résolu d’effectuer la suite de l’ascension en selle. Il me restait six lacets et il me serait uniquement possible d’actionner mon vélo depuis le bout de chaque épingle, là où la route est plate. Chacun de ces lacets avait une longueur d’entre 200 et 600 m. Ces cinq kilomètres ont nécessité l’effort individuel le plus important de ma vie. Au sommet, je ressentais une satisfaction encore plus grande qu’au bout des routes Dalton et Dempster.

Col de Cougar Point, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Quoi qu’il en soit, il était trop tôt pour me réjouir. Le col de Cougar Point est un faux sommet. Bien que la pente soit beaucoup plus faible, il faut continuer à monter pendant quelques kilomètres. Cela dit, la route est couverte d’arbres offrant de l’ombrage. Au premier ruisseau que j’ai croisé, je me suis arrêté pour remplir mes réserves d’eau. Lorsque j’ai sorti mon sac d’hydratation (communément appelé Camelbak), j’ai toutefois remarqué que l’eau que je buvais depuis au moins la veille était orange, comme celle du ruisseau Engineer, au Yukon.

Eau ferreuse – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Si je devais être malade, je n’y pouvais rien. Je me suis donc contenté de le nettoyer et je l’ai à nouveau rempli d’eau. Je soupçonne que l’eau du Big Bar Guest Ranch était à blâmer, puisque l’eau que j’avais récupérée dans les autres ruisseaux était claire. J’ai rapidement atteint le « vrai » sommet, à 1 519 m d’altitude, et j’ai amorcé la satisfaisante descente jusqu’au lac Kelly, où je me suis arrêté pour dîner.

Sommet de la route High Bar, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Après un court passage dans le lac, je l’ai longé jusqu’à sa pointe sud, au pied du col Pavilion-Clinton (1 565 m). Après le col de Cougar Point, il s’agit d’un des plus difficiles de la région : 11 % pendant cinq kilomètres. Avec l’aide des moustiques qui me poursuivaient, j’ai effectué l’ascension promptement.

Pied du col Pavilion-Clinton, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Suite à une descente de plusieurs kilomètres, à Pavilion, la route non pavée se termine et rejoint la Sea to Sky Highway. À mon arrivée, j’ai immédiatement pris la direction de Cache Creek. J’étais stratégiquement à court de nourriture, afin de minimiser le poids de ma monture, et je devais donc trouver un restaurant. J’ai rapidement atteint ma destination et j’ai installé ma tente derrière le BC Liquor Store, comme à mon premier passage en avril.

Canyon Marble, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

La canicule n’était pas terminée et deux autres cols majeurs se dressaient devant moi : les sommets Highland (1 355 m) et Pennask (1 728 m), ce dernier étant le second plus haut col de la C-B. À vrai dire, après le col de Cougar Point, aucun d’entre eux ne m’inquiétait vraiment. Cela dit, les feux entourant Peachland se trouvaient en contrebas et mon succès dépendrait donc de la direction du vent.

Sommet Pennask, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le jour venu, il ventait du nord, ce qui me protégeait de la fumée. Je suis finalement arrivé à Peachland sans trop de difficulté. Cela n’a toutefois pas été le cas pour certains automobilistes. Près du sommet, j’ai croisé plusieurs véhicules en panne, dont un avait même pris feu. Ce soir-là, sur la plage, on pouvait voir les braises et les flammes sur les montagnes tout autour. En observant les centaines de touristes vaquant à leurs occupations, on aurait cru que la situation était normale. Elle l’était peut-être, mais le spectacle demeurait choquant. Cette nuit-là, j’étais hébergé au camping de la famille de Barb, une dame que j’avais rencontrée sur la route deux semaines auparavant.

Incendies autour de Peachland, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Celle-ci vit à Vancouver et je lui ai donc promis de la visiter à mon retour en ville. Pour l’instant, je poursuivais ma route vers le sud. Je rentrais à Vancouver par la route North Cascades, dans l’état de Washington. De l’autre côté de la frontière, je faisais aussi un détour par une dernière route de gravier, de Loomis à Conconully, avant d’aller définitivement vers l’ouest.

Incendies sur le mont Okaganan, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay
État de Washington

J’ai passé la douane états-unienne d’Osoyoos vers 18 h, puis j’ai campé près de Nighthawk. À 6 h, le lendemain, j’étais à nouveau en selle. J’ai déjeuné à la station-service de Loomis puis je me suis engagé sur la route Sinlahekin. En raison du temps désespérément sec, la route était couverte de sable lâche. Conserver mon équilibre était particulièrement difficile. Cela dit, ce détour me permettait d’éviter de continuer à suivre la route #97, laquelle est très passante.

Lac Blue, Washington – Photo par Félix-Antoine Tremblay

En début d’après-midi, j’ai pénétré la ville d’Okanogan, où j’ai attendu environ deux heures dans un Subway, lequel était climatisé. Vers 16 h, la température a plafonné à 46°C. À ce moment, j’effectuais l’ascension du col Loup Loup (1 225 m). Près du sommet, j’ai commencé à sentir la fumée d’un feu de forêt. Durant la descente, je voyais un imposant panache de fumée provenant de l’ouest. À mon arrivée à Twisp, de la cendre tombait du ciel.

Panache de fumée au-dessus de Twisp, Washington – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le brasier se trouvait à quelques kilomètres de la route, mais celle-ci demeurait ouverte. Je me suis donc levé tôt et j’ai poursuivi mon chemin. Ce jour-là, le vent provenait encore une fois du nord, ce qui me protégeait à nouveau de la fumée. Avant de rejoindre la côte, je devais passer le col Washington (1 669 m), le cinquième col notable[1] en six jours. Ses pentes faibles ne m’ont posé aucun problème et j’ai pu quitter le parc national des North Cascades avant la tombée de la nuit.

Col Washington, Washington – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai finalement campé derrière la station-service de Marblemount, à 205 kilomètres de Vancouver. Je n’avais qu’un objectif en tête, soit de parcourir cette distance le lendemain. À mon réveil, je me suis acheté un grand café et je suis monté en selle. Je devais maintenir une moyenne nette de 17 km/h pour arriver à 20 h. Ceci incluait le passage aux douanes canadiennes, les repas et le trafic urbain de Vancouver.

Pont Patullo, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai passé le pont Patullo à 19 h, ce qui me laissait une heure pour traverser la ville d’un bout à l’autre. J’ai avalé un gel caféiné et j’ai enclenché la vitesse supérieure. En n’appliquant pas rigoureusement le code de sécurité routière, et avec des pointes à plus de 40 km/h, j’ai atteint ma destination quelques minutes après 20 h. Je suis arrivé juste à temps pour récupérer les clefs de l’ami qui m’hébergeait. Celui-ci devait s’absenter pour la soirée. Après un tel sprint final, l’arrêt était brutal. J’étais seul dans un appartement et j’avais simplement terminé, 114 jours et 12 115 kilomètres après mon départ de Montréal.

Bonus round

C’en était fini de mon voyage principal, mais j’avais prévu des étapes secondaires totalisant 1 900 kilomètres. Pour la deuxième fois de la saison, je retournais sur l’île de Vancouver, vers Tofino. Je comptais à nouveau emprunter certaines routes forestières, mais les feux de forêt m’en ont empêché. J’ai donc dû me résoudre à prendre la route Alberni. À mon retour, pendant l’ascension du sommet Port Alberni, la température a atteint 48°C, soit mon record pour la saison.

Plage Tonquin, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai passé quelques jours à Vancouver avant de prendre l’avion vers Sudbury, en Ontario. J’ai profité de cet intervalle pour effectuer l’ascension du sommet West Lion, à pied. Au même moment, le gouvernement provincial a déclaré l’état d’urgence en raison des feux de forêt. À Vancouver, la visibilité était significativement réduite et la végétation souffrait de la sécheresse.

Sécheresse à Vancouver, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Après avoir atterri à Sudbury, ce sont cette fois-ci les feux de forêt dans l’est qui faisaient sentir leur présence. Je n’ai cependant pas été incommodé par ceux-ci. Je me dirigeais vers Niagara Falls, dans le sud de l’Ontario, avant de contourner le lac Ontario en passant par l’état de New York.

Chutes du Niagara, Ontario – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je suis rentré au Canada à Kingston, en Ontario, le 24 août. J’ai complété ma saison la nuit suivante, en effectuant un triple centurion[2]. Pour ce faire, j’ai relié Gananoque, en Ontario, et Longueuil, au Québec. Tôt en matinée, j’avais croisé un club de cyclistes roulant vers l’est depuis Kingston et j’avais décidé de les suivre. En cette 137ᵉ journée de mon voyage, je ne ressentais plus la fatigue ni la douleur. Je n’avais en tête que mon objectif : rentrer à la maison.

Arrivée à Cornwall, Ontario – Photo par Fabrizio Mastronardi

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[1] Col notable : Col hors catégorie ou de première catégorie, soit au moins 250 points, selon la formule Pente_%^2*Distance_km tinyurl.com/ydbfwzua 
[2] Triple centurion (métrique) : 300 kilomètres en 24 heures

Cet article a d’abord été publié en octobre 2019 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].