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Pas de fumée sans feu

  • 1 octobre 2019/
  • Publié par : Félix-Antoine Tremblay/
  • 0 commentaires /
  • Under : À la découverte du nord, Collaborations, Récits de vélo

Dans la dernière édition de L’Heuristique, je publiais le troisième article d’une série sur mon plus récent voyage à vélo vers l’océan Arctique. Cet article y fait suite.

Carte du trajet parcouru – Image modifiée par Félix-Antoine Tremblay, basée sur l’image de Carol Spears, distribuée par Wikimedia
Yukon

Après quelques heures de sommeil sur un banc de Dawson City, je me suis dirigé vers la maison de mon hôtesse du site Couchsurfing, à cinq minutes de marche. Suite à une courte discussion, je suis retourné me coucher jusqu’en après-midi. Je me donnais trois jours pour reprendre des forces avant de poursuivre en direction de Vancouver, en Colombie-Britannique (C-B).

Le 7 juillet 2018, 87 jours après avoir quitté Montréal, j’ai parcouru pour une troisième fois le tronçon de 40 kilomètres reliant Dawson City à Dempster Corner, le point de départ de la route Dempster. J’avais commencé ma journée relativement tard. Je m’y suis donc arrêté pour dîner. Peu de temps après mon départ, j’ai été rattrapé par Chris, un cycliste de l’Ontario qui revenait également de Tuktoyaktuk. Nous avons roulé ensemble jusqu’au camping de Moose Creek, où nous avons dormi dans un abri de cuisine. Ce soir-là, le ciel était voilé. Il y avait visiblement un feu dans les parages, mais aucun d’entre nous n’en avait entendu parler.

Fleuve Yukon, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À notre réveil, le vent s’était levé. Notre progression était significativement ralentie, mais la fumée s’était pour le moins dissipée. Heureusement, à deux, nous pouvions nous relayer pour couper le vent. Nous avons roulé ensemble jusqu’à Carmacks, où nous sommes arrivés le lendemain, un peu après 13 h. Ici, Chris continuait sur la route Klondike, vers Whitehorse, alors que je prenais la route Robert Campbell. Celle-ci devait être pavée jusqu’à Ross River, puis se poursuivre en gravier jusqu’à Watson Lake, 354 kilomètres plus loin. Brent, le cycliste ontarien que j’avais croisé à deux reprises plus tôt dans la saison, se trouvait actuellement dans la région. Nous nous sommes donné rendez-vous le 10 juillet, en soirée, à Ross River. Cela me laissait une trentaine d’heures pour parcourir les 235 kilomètres qui m’en séparaient.

Avant de quitter Carmacks, je devais dîner, faire le plein d’essence et passer au poste de la Gendarmerie royale du Canada pour y récupérer un colis. Je suis parti vers 16 h et j’ai roulé jusqu’au coucher du soleil. J’ai installé mon campement au bord de la route, au nord du lac Little Salmon. Mon objectif se trouvait alors à 145 kilomètres de ma position. J’étais confiant, mais j’avais obtenu plusieurs informations conflictuelles au sujet de la route Robert Campbell. Je ne tenais donc rien pour acquis.

Fleuve Yukon, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Finalement, bien qu’elle n’ait été pavée que jusqu’à Faro, soit cinquante kilomètres de moins que prévu, la route était aisément carrossable. Je suis arrivé à ma destination vers 20 h. Brent m’attendait à la station-service, après un passage sur la route North Canol. J’ai eu le plaisir de lui annoncer que nous étions invités à l’église du village. Jean-Claude et Irène, deux missionnaires du Nouveau-Brunswick, s’étaient arrêté(e)s alors que je dînais au bord de la route. Le couple m’avait invité à passer la nuit dans leur demeure de Ross River et avait accepté que Brent se joigne à nous.

Pendant la soirée, Jean-Michel, mon hôte du site Warmshowers, à Watson Lake, m’a informé qu’un important brasier faisait rage douze kilomètres à l’ouest de la route Robert Campbell. Un avertissement d’évacuation imminente avait été diffusé pour les 10 structures situées entre les kilomètres 30 et 58 de la route. Brent et moi devions croiser l’incendie trois jours plus tard. Nous n’aurions pas de réseau cellulaire d’ici là. Nos alternatives étaient d’attendre ou d’emprunter la route South Canol jusqu’à Johnson’s Crossing, un détour de 170 kilomètres.

Lac Coffee, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Nous avons choisi de tenter notre chance et poursuivre notre chemin comme prévu. Après deux jours sous la pluie, nous sommes arrivés au camping du lac Simpson. Pour la dernière fois de nos aventures respectives au Yukon, nous avons campé dans l’abri de cuisine, doté d’un poêle. Nous étions alors au kilomètre 81 de la route Robert Campbell, soit 23 kilomètres au nord de la zone visée par l’avertissement d’évacuation imminente.

Lac Finlayson, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Pour la dernière journée, la chance était de notre côté. Le vent soufflait de l’est et il pleuvait par intermittence. Le feu n’a donc pas été un obstacle et nous avons rejoint Jean-Michel au centre touristique, en début d’après-midi. Nous avons passé les deux nuits suivantes chez lui. Deux mois auparavant, c’est ici que Brent et moi nous étions rencontrés. Philippe, propriétaire de l’atelier de vélo mobile du Yukon, était d’ailleurs lui aussi de passage à Watson Lake, comme au mois de mai.

Nord de la C-B

Le matin de notre départ, nous avons fait nos adieux à Jean-Michel et avons poursuivi notre chemin en direction de la C-B. Une centaine de kilomètres plus loin, Brent s’est arrêté pour la nuit, au même endroit où il avait campé à son premier passage. Pour ma part, j’ai continué jusqu’à Coal River. Brent remontait aux Territoires du Nord-Ouest le long du sentier Liard, vers Yellowknife, alors que je me dirigeais vers le sud. En soirée, j’ai croisé plusieurs troupeaux de buffles qui broutaient aux abords de la route.

Rivière Coal, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le lendemain, j’ai visité les sources chaudes de Liard dont on m’avait parlé pour la première fois le 21 juin 2013, à Nelson, en C-B. Mathieu, un chercheur d’or québécois travaillant au Yukon, m’avait alors fait promettre de passer les voir lorsque je serais dans la région. Il est depuis retourné vivre en Estrie avec sa femme et leur fille. Je n’ai pas été déçu. Malgré leur popularité, ces sources chaudes ont gardé leur aspect naturel, à la différence des sources plus au sud (Miette, Radium, Banff Upper, etc.), lesquelles ont été remplacées par de vulgaires piscines de béton.

Sources chaudes de Liard, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’aurais aimé y rester plus longtemps, mais je devais absolument arriver à Vancouver avant que les feux de forêt ne ravagent la province. J’ai soupé et je me suis préparé à plier bagage. À ce moment, j’ai aperçu Chris qui marchait vers moi. Il roulait en direction de Calgary, en Alberta, mais comptait passer la nuit dans le parc. Nous nous sommes donc fait nos adieux et j’ai poursuivi mon chemin.

Buffle, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Pendant une semaine, il a plu et la température oscillait entre 10 et 15°C. Je relativisais en me disant que cela me protégeait des feux de forêt, et j’avais raison. Lorsque je suis arrivé de l’autre côté des Rocheuses, à Mackenzie Junction, il faisait soleil, mais le ciel était voilé et l’air sentait la fumée. J’ai campé au centre touristique et, en matinée, j’y ai demandé des informations quant aux incendies.

Mile 0 de la route de l’Alaska, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Les nouvelles étaient très mauvaises. Il y avait des feux tout au long de mon trajet, jusque dans l’état de Washington. Le pire endroit était la ville de Peachland, littéralement entourée de flammes. J’y serais dans une semaine. D’ici là, je comptais emprunter plusieurs routes forestières où je n’aurais pas de réseau cellulaire, ce qui serait problématique en cas de feu.

Pour deux jours, je suivais toutefois la route Cariboo, où on m’arrêterait en cas de danger. La fumée était de plus en plus dense, mais la situation demeurait meilleure que celle que j’avais vécue en juillet 2017 près de Canmore, en Alberta, alors qu’il neigeait de la cendre. Cela dit, à l’époque, c’est justement la région Cariboo qui brûlait. Ironiquement, rouler dans les régions calcinées réduisait aussi le risque d’incendie.

Carte de feux de forêt, Colombie-Britannique (15 août 2018) – Image par BC Wildfire Service
Région de Cariboo

À Quesnel, je quittais les routes passantes pour suivre la West Fraser, une route de gravier. Je devais retourner sur la rive est à Soda Creek, 90 kilomètres au sud. J’ai soupé en ville, puis j’ai fait le plein d’eau avant de partir vers l’inconnu. Quatre kilomètres après avoir traversé le pont de Quesnel, j’ai toutefois croisé un panneau indiquant un détour au pont du ruisseau Narcosli. Sachant que la route West Fraser est la seule sur cette rive, j’ai arrêté plusieurs automobilistes pour leur demander des informations. Selon chacun d’entre eux, le pont était détruit et le détour était long d’une vingtaine de kilomètres et passait dans la forêt plutôt que le long de la rivière.

Route West Fraser barrée au ruisseau Narcosli, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Avec regret, j’ai choisi de ne pas risquer de me retrouver coincé au milieu de nulle part et j’ai rebroussé chemin. Quelques kilomètres avant le village de Kersley, Paul, un automobiliste, s’est arrêté à ma hauteur pour m’inviter à dormir. Je n’avais pas pris ma douche depuis une semaine et il faisait maintenant 40°C en après-midi. J’étais couvert de poussière et de crème solaire, je ne pouvais donc pas me permettre de refuser une telle offre.

Je suis arrivé chez lui vers 21 h. Lui et sa femme possédaient un ranch et je serais hébergé dans le dortoir dédié à leurs employé(e)s. Au chant du coq, le déjeuner était servi dans le bâtiment principal. J’étais choyé. Sans le savoir, j’avais été invité dans un bed & breakfast. Après avoir lavé mes vêtements, je leur ai fait mes adieux. Il était à peine 9 h et il faisait déjà très chaud. On annonçait que les prochaines semaines seraient particulièrement chaudes et sèches, et ce, dans une région normalement aride.

Plusieurs fois, j’ai dû m’arrêter à l’ombre pour me rafraîchir. Vers 15 h, la température a atteint 45°C. Lorsque je suis finalement arrivé à Williams Lake, j’ai fait une longue halte au Subway. Ici, je commençais ce que je savais être une des plus difficiles aventures que j’avais tentées à ce jour. Durant les 48 prochaines heures, je roulerais dans le canyon de la rivière Fraser, au moment le plus chaud de l’année. Pour en sortir, je devrais faire l’ascension du col de Cougar Point, d’une moyenne de 16 % de pente sur cinq kilomètres, avec des pointes à 23 %.

Fleuve Fraser, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À 18 h, je suis finalement ressorti dehors. La chaleur semblait encore plus accablante, après avoir passé deux heures dans un espace climatisé. Je suis allé à l’épicerie, j’ai rassemblé mon courage et j’ai entrepris la lente ascension de la route Dog Creek, culminant ici à près de 900 m. Une fois passé le sommet, j’ai été récompensé avec une longue pente qui m’a permis d’atteindre une vitesse de 76 km/h, la plus élevée de la saison.

Record de vitesse pour la saison 2018 – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Quelques kilomètres plus loin, j’ai salué de la main une vieille dame arrosant son jardin. Lorsqu’elle m’a rendu la pareille, j’ai sollicité des informations sur la route. Après quelques minutes de discussion, elle m’a invité à faire le plein de fruits et légumes dans son jardin. Alors que je procédais, son fils est arrivé et m’a demandé si je désirais camper chez eux et elles. Il était à peine 19 h 30 et je comptais rouler tard en soirée afin de profiter de la fraîcheur relative. L’offre d’une douche, d’un second souper ainsi que de bonne compagnie m’a toutefois convaincu et j’y ai passé la nuit.

À 6 h, j’étais déjà debout. D’une part, je devais ranger ma tente avant la rosée. D’autre part, je devais compenser mon retard de la veille. J’ai fait mes adieux à la famille Biffert et je me suis dirigé vers le fond du canyon. Quelques kilomètres plus loin, à Springhouse, l’enrobé bitumeux a laissé place à un mélange de gravier et de sable, parfois mal compacté. La prochaine ville sur ma route, Cache Creek, se trouvait à une distance de 245 kilomètres. Je croiserais cependant les communautés autochtones d’Alkali Lake, de Dog Creek, de Canoe Creek et de Pavilion Lake.

Pont vers Gang Ranch, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je buvais désormais jusqu’à 15 L d’eau par jour et je devais donc constamment remplir mes gourdes afin de ne pas en manquer. Je pouvais transporter au plus 5,25 L d’eau et j’ignorais quels ruisseaux et plans d’eaux étaient asséchés à cette période de l’année. Je tenais donc pour acquis que chacun d’entre eux le serait. L’ombre aussi se faisait rare, puisque seule la crête de chaque côté du canyon est couverte d’arbres.

Oasis près de Canoe Creek, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je me suis arrêté à Dog Creek, sur le terrain de l’école primaire, pour dîner à l’abri du soleil. J’ai rempli mes gourdes dans le ruisseau du village et j’ai repris mon chemin. La température était comprise entre 40 et 45°C. Je cuisais au soleil et je devais prendre des pauses de plusieurs minutes sous chaque arbre que je croisais. À quelques kilomètres de Canoe Creek, j’ai découvert une oasis où j’ai remplacé toute mon eau, potable ou non, par de l’eau fraîche. Après coup, je me suis assis dans l’eau, profonde de quelques décimètres. J’aurais pu y passer le reste de la journée, mais je souhaitais atteindre le pied du col de Cougar Point avant la tombée de la nuit. Je devais impérativement effectuer cette ascension en matinée, alors que la crête du côté est du canyon me protégerait du soleil.

Région de Thompson Okanagan

J’ai dîné une seconde fois à Canoe Creek, puis j’ai poursuivi mon chemin sans tarder. Lorsque je suis arrivé à Big Bar Guest Ranch, la nuit était déjà tombée. Au moment où je passais devant la guérite, un automobiliste venait de s’engager sur la route. J’ai profité de cette occasion pour demander à refaire mes réserves d’eau potable. Vers 22 h, je suis arrivé à Jesmond, où est situé le bureau de poste de la région. L’idée de descendre les pentes abruptes de la route Big Bar Ferry dans le noir ne me plaisait pas et j’ai donc choisi d’y camper. À ma surprise, j’ai trouvé un téléphone public offrant même l’accès à Internet sans fil. Dès mon réveil, à 5 h (8 h, heure de l’Est), j’ai donc donné signe de vie à ma famille.

Route High Bar, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Alors que je descendais vers le fond du canyon, mon anxiété était à son comble. Je savais que je devrais remonter tout cela, et encore plus. La route High Bar bifurque tout juste avant le traversier de Big Bar, où elle longe la rivière Fraser sur une vingtaine de kilomètres. Ici, le désert se couvre de verdure. Les plateaux cultivés sont irrigués par la rivière et ses affluents. En s’approchant de la section la plus accidentée du canyon, quelques ruisseaux d’eau limpide, et visiblement non contaminée par l’agriculture, croisent la route.

Canyon Fraser, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Vers 9 h, j’ai atteint le pied du col. Le soleil se trouvait toujours sous la crête, mais il faisait tout de même près de 30°C. J’ai avalé un gel caféiné et j’ai amorcé la lente et douloureuse ascension. Il m’était impossible de monter les deux premiers lacets du col en selle. La pente était trop forte et la surface excessivement mauvaise. Même en marchant, il était difficile de générer suffisamment de traction pour pousser mon vélo. J’allais même trop lentement pour mon tachymètre. Plus tard, j’ai pu déterminer que je me déplaçais à 1,5 km/h.

Route High Bar, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Au sommet du second lacet, j’ai été forcé d’admettre que, à ce rythme, je ne parviendrais jamais au sommet avant midi, moment où le soleil atteint son zénith. À ce moment précis, un pick-up m’a dépassé. Son conducteur a offert de me transporter jusqu’au sommet. C’était une offre difficile à refuser, ce que j’ai tout de même réussi à faire. En cas de problème, je pourrais toujours abandonner mon vélo et me réfugier sous les arbres de la crête.

Route High Bar, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai cependant résolu d’effectuer la suite de l’ascension en selle. Il me restait six lacets et il me serait uniquement possible d’actionner mon vélo depuis le bout de chaque épingle, là où la route est plate. Chacun de ces lacets avait une longueur d’entre 200 et 600 m. Ces cinq kilomètres ont nécessité l’effort individuel le plus important de ma vie. Au sommet, je ressentais une satisfaction encore plus grande qu’au bout des routes Dalton et Dempster.

Col de Cougar Point, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Quoi qu’il en soit, il était trop tôt pour me réjouir. Le col de Cougar Point est un faux sommet. Bien que la pente soit beaucoup plus faible, il faut continuer à monter pendant quelques kilomètres. Cela dit, la route est couverte d’arbres offrant de l’ombrage. Au premier ruisseau que j’ai croisé, je me suis arrêté pour remplir mes réserves d’eau. Lorsque j’ai sorti mon sac d’hydratation (communément appelé Camelbak), j’ai toutefois remarqué que l’eau que je buvais depuis au moins la veille était orange, comme celle du ruisseau Engineer, au Yukon.

Eau ferreuse – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Si je devais être malade, je n’y pouvais rien. Je me suis donc contenté de le nettoyer et je l’ai à nouveau rempli d’eau. Je soupçonne que l’eau du Big Bar Guest Ranch était à blâmer, puisque l’eau que j’avais récupérée dans les autres ruisseaux était claire. J’ai rapidement atteint le « vrai » sommet, à 1 519 m d’altitude, et j’ai amorcé la satisfaisante descente jusqu’au lac Kelly, où je me suis arrêté pour dîner.

Sommet de la route High Bar, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Après un court passage dans le lac, je l’ai longé jusqu’à sa pointe sud, au pied du col Pavilion-Clinton (1 565 m). Après le col de Cougar Point, il s’agit d’un des plus difficiles de la région : 11 % pendant cinq kilomètres. Avec l’aide des moustiques qui me poursuivaient, j’ai effectué l’ascension promptement.

Pied du col Pavilion-Clinton, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Suite à une descente de plusieurs kilomètres, à Pavilion, la route non pavée se termine et rejoint la Sea to Sky Highway. À mon arrivée, j’ai immédiatement pris la direction de Cache Creek. J’étais stratégiquement à court de nourriture, afin de minimiser le poids de ma monture, et je devais donc trouver un restaurant. J’ai rapidement atteint ma destination et j’ai installé ma tente derrière le BC Liquor Store, comme à mon premier passage en avril.

Canyon Marble, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

La canicule n’était pas terminée et deux autres cols majeurs se dressaient devant moi : les sommets Highland (1 355 m) et Pennask (1 728 m), ce dernier étant le second plus haut col de la C-B. À vrai dire, après le col de Cougar Point, aucun d’entre eux ne m’inquiétait vraiment. Cela dit, les feux entourant Peachland se trouvaient en contrebas et mon succès dépendrait donc de la direction du vent.

Sommet Pennask, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le jour venu, il ventait du nord, ce qui me protégeait de la fumée. Je suis finalement arrivé à Peachland sans trop de difficulté. Cela n’a toutefois pas été le cas pour certains automobilistes. Près du sommet, j’ai croisé plusieurs véhicules en panne, dont un avait même pris feu. Ce soir-là, sur la plage, on pouvait voir les braises et les flammes sur les montagnes tout autour. En observant les centaines de touristes vaquant à leurs occupations, on aurait cru que la situation était normale. Elle l’était peut-être, mais le spectacle demeurait choquant. Cette nuit-là, j’étais hébergé au camping de la famille de Barb, une dame que j’avais rencontrée sur la route deux semaines auparavant.

Incendies autour de Peachland, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Celle-ci vit à Vancouver et je lui ai donc promis de la visiter à mon retour en ville. Pour l’instant, je poursuivais ma route vers le sud. Je rentrais à Vancouver par la route North Cascades, dans l’état de Washington. De l’autre côté de la frontière, je faisais aussi un détour par une dernière route de gravier, de Loomis à Conconully, avant d’aller définitivement vers l’ouest.

Incendies sur le mont Okaganan, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay
État de Washington

J’ai passé la douane états-unienne d’Osoyoos vers 18 h, puis j’ai campé près de Nighthawk. À 6 h, le lendemain, j’étais à nouveau en selle. J’ai déjeuné à la station-service de Loomis puis je me suis engagé sur la route Sinlahekin. En raison du temps désespérément sec, la route était couverte de sable lâche. Conserver mon équilibre était particulièrement difficile. Cela dit, ce détour me permettait d’éviter de continuer à suivre la route #97, laquelle est très passante.

Lac Blue, Washington – Photo par Félix-Antoine Tremblay

En début d’après-midi, j’ai pénétré la ville d’Okanogan, où j’ai attendu environ deux heures dans un Subway, lequel était climatisé. Vers 16 h, la température a plafonné à 46°C. À ce moment, j’effectuais l’ascension du col Loup Loup (1 225 m). Près du sommet, j’ai commencé à sentir la fumée d’un feu de forêt. Durant la descente, je voyais un imposant panache de fumée provenant de l’ouest. À mon arrivée à Twisp, de la cendre tombait du ciel.

Panache de fumée au-dessus de Twisp, Washington – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le brasier se trouvait à quelques kilomètres de la route, mais celle-ci demeurait ouverte. Je me suis donc levé tôt et j’ai poursuivi mon chemin. Ce jour-là, le vent provenait encore une fois du nord, ce qui me protégeait à nouveau de la fumée. Avant de rejoindre la côte, je devais passer le col Washington (1 669 m), le cinquième col notable[1] en six jours. Ses pentes faibles ne m’ont posé aucun problème et j’ai pu quitter le parc national des North Cascades avant la tombée de la nuit.

Col Washington, Washington – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai finalement campé derrière la station-service de Marblemount, à 205 kilomètres de Vancouver. Je n’avais qu’un objectif en tête, soit de parcourir cette distance le lendemain. À mon réveil, je me suis acheté un grand café et je suis monté en selle. Je devais maintenir une moyenne nette de 17 km/h pour arriver à 20 h. Ceci incluait le passage aux douanes canadiennes, les repas et le trafic urbain de Vancouver.

Pont Patullo, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai passé le pont Patullo à 19 h, ce qui me laissait une heure pour traverser la ville d’un bout à l’autre. J’ai avalé un gel caféiné et j’ai enclenché la vitesse supérieure. En n’appliquant pas rigoureusement le code de sécurité routière, et avec des pointes à plus de 40 km/h, j’ai atteint ma destination quelques minutes après 20 h. Je suis arrivé juste à temps pour récupérer les clefs de l’ami qui m’hébergeait. Celui-ci devait s’absenter pour la soirée. Après un tel sprint final, l’arrêt était brutal. J’étais seul dans un appartement et j’avais simplement terminé, 114 jours et 12 115 kilomètres après mon départ de Montréal.

Bonus round

C’en était fini de mon voyage principal, mais j’avais prévu des étapes secondaires totalisant 1 900 kilomètres. Pour la deuxième fois de la saison, je retournais sur l’île de Vancouver, vers Tofino. Je comptais à nouveau emprunter certaines routes forestières, mais les feux de forêt m’en ont empêché. J’ai donc dû me résoudre à prendre la route Alberni. À mon retour, pendant l’ascension du sommet Port Alberni, la température a atteint 48°C, soit mon record pour la saison.

Plage Tonquin, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai passé quelques jours à Vancouver avant de prendre l’avion vers Sudbury, en Ontario. J’ai profité de cet intervalle pour effectuer l’ascension du sommet West Lion, à pied. Au même moment, le gouvernement provincial a déclaré l’état d’urgence en raison des feux de forêt. À Vancouver, la visibilité était significativement réduite et la végétation souffrait de la sécheresse.

Sécheresse à Vancouver, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Après avoir atterri à Sudbury, ce sont cette fois-ci les feux de forêt dans l’est qui faisaient sentir leur présence. Je n’ai cependant pas été incommodé par ceux-ci. Je me dirigeais vers Niagara Falls, dans le sud de l’Ontario, avant de contourner le lac Ontario en passant par l’état de New York.

Chutes du Niagara, Ontario – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je suis rentré au Canada à Kingston, en Ontario, le 24 août. J’ai complété ma saison la nuit suivante, en effectuant un triple centurion[2]. Pour ce faire, j’ai relié Gananoque, en Ontario, et Longueuil, au Québec. Tôt en matinée, j’avais croisé un club de cyclistes roulant vers l’est depuis Kingston et j’avais décidé de les suivre. En cette 137ᵉ journée de mon voyage, je ne ressentais plus la fatigue ni la douleur. Je n’avais en tête que mon objectif : rentrer à la maison.

Arrivée à Cornwall, Ontario – Photo par Fabrizio Mastronardi

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[1] Col notable : Col hors catégorie ou de première catégorie, soit au moins 250 points, selon la formule Pente_%^2*Distance_km tinyurl.com/ydbfwzua 
[2] Triple centurion (métrique) : 300 kilomètres en 24 heures

Cet article a d’abord été publié en octobre 2019 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].


La Dernière Frontière

  • 1 juin 2019/
  • Publié par : Félix-Antoine Tremblay/
  • 0 commentaires /
  • Under : À la découverte du nord, Collaborations, Récits de vélo

Dans la dernière édition de L’Heuristique, je publiais le second article d’une série sur mon plus récent voyage à vélo vers l’océan Arctique. Cet article y fait suite.

Carte du trajet parcouru – Image modifiée par Félix-Antoine Tremblay, basée sur l’image de Carol Spears, distribuée par Wikimedia
Froid glacial

Vers 22 heures, après avoir passé la journée dans mon abri, je suis sorti pour aller chercher de l’eau liquide dans un ruisseau que j’avais localisé la veille. Heureusement, malgré la baisse de température, celui-ci n’était toujours pas gelé. En levant les yeux vers le ciel, j’ai remarqué que les nuages s’étaient un peu dissipés. Je suis retourné dans ma tente et j’ai réglé mon cadran toutes les deux heures, pour la nuit. À quelques jours du solstice d’été, le soleil ne se couche jamais sur la North Slope.

Col Atigun, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À 4 heures du matin, le ciel était maintenant dégagé près du col Atigun, mais il neigeait toujours plus au nord. Sans pouvoir obtenir de mise à jour sur les prévisions météorologiques, je devais tenter ma chance. Il faisait -4°C et la route était glacée. Heureusement, puisqu’elle est en gravier, mes pneus d’été seraient tout de même en mesure d’adhérer à la surface. Par ailleurs, la glace avait pour avantage de me protéger contre la boue traitée au chlorure de calcium (CaCl2), laquelle m’avait posé problème quelques jours auparavant.

Je me suis habillé aussi chaudement que possible avant de partir. Les seuls vêtements que je ne voulais pas porter étaient malheureusement les plus chauds, soit ceux que je portais lorsque je n’étais pas sur mon vélo. Je ne pouvais pas me permettre de les mouiller, puisque je serais alors à la merci du mauvais temps, advenant que je doive m’arrêter pour quelque raison que ce soit, par exemple un bris mécanique.

Le froid me poserait notamment problème au niveau des pieds, alors que mes souliers à semelle de carbone sont serrés et bien ventilés. Ceux-ci limitent les mouvements et m’empêchent de porter plusieurs paires de bas. Tout au long de la journée, je devrais faire l’effort de remuer constamment mes orteils.

Route Dalton, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Route Dalton

En gardant mon eau près de moi durant la nuit, j’ai pu la conserver au-delà du point de congélation. Je n’ai donc pas eu de difficulté à cuisiner mon déjeuner : du gruau et un café. Un peu après 5 heures, j’ai finalement quitté mon refuge et j’ai repris la route vers l’océan Arctique. Après un départ hésitant, j’ai été surpris de constater que je maintenais un bon rythme. Après quelques dizaines de minutes, j’ai toutefois eu le déplaisir de découvrir que le tube de mon sac d’hydratation (communément appelé Camelbak) était glacé.

Avec les vibrations, l’eau de mes gourdes demeurait cependant partiellement liquide. Bien que l’idée de transporter 3 kg d’eau imbuvable sur mon dos ne me plaisait guère, j’étais rassuré de savoir que je pourrais au moins consommer l’eau qui se trouvait dans mes bouteilles.

Chaîne Brooks, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai atteint le lac Galbraith vers 8 heures. Ici, je quittais les montagnes pour pénétrer dans les plaines de l’Arctique. La température avoisinait désormais 0°C et le soleil commençait à percer le couvert nuageux. Cette combinaison signifiait aussi que la surface glacée fondait. Comme près de la rivière Yukon, mon vélo devait à nouveau faire face à la boue. Heureusement, sa consistance était suffisamment liquide pour empêcher son accumulation sur ma transmission. Il n’a tout de même fallu que quelques kilomètres avant que je sois incapable de changer de vitesse. À chaque côte, ma chaîne menaçait de se coincer, m’immobilisant sur-le-champ. Heureusement, chaque fois, j’ai réussi à la décoincer en rétropédalant, ou à poser un pied au sol avant de chuter.

Approximativement 85 kilomètres après mon départ, près de la rivière Sag, à un peu moins de 500 m d’altitude, la neige a enfin laissé place à la toundra. J’en ai profité pour prendre une pause et dîner. Au menu, thé et ragoût de bœuf, un délice dans cette région inhospitalière. Le pire semblait derrière moi. Pour le moins, en l’absence de neige, la route était désormais relativement sèche.

Route Dalton, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

En définitive, j’ai parcouru 165 kilomètres en cette journée difficile. Ne sachant pas ce que la météo me réservait, je ne pouvais pas me permettre de chômer. Ce faisant, je réduisais le nombre de nuits que je devrais encore passer ici à une seule. En effet, à moins d’un problème, je devais être en mesure de parcourir les 110 kilomètres restants le lendemain.

Malgré un vent du nord et des averses de neige fondante, j’ai finalement atteint le bout de la route (70° 13′ 14″ N) comme prévu, un peu avant 16 heures. À cet endroit, il est impossible de se rendre à l’Océan Arctique à vélo. Les berges appartiennent à une compagnie pétrolière et on ne peut pénétrer leur territoire qu’à bord de la navette touristique, au coût de 69 USD.

Deadhorse, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je devais immédiatement faire de l’auto-stop en direction de Fairbanks, puisqu’il est illégal de camper à Deadhorse, en raison de la présence d’ours polaires. Juste avant mon arrivée, j’ai heureusement croisé une famille de touristes venue de Fairbanks et arrêtée au bord de la route. Ils et elles roulaient en direction sud et acceptaient de me transporter jusqu’en ville.

Nous nous sommes rejoints à la station-service du village et, après avoir attaché mon vélo au toit de leur véhicule, nous avons pris la route. Nous avons passé la nuit au village de Wiseman, là où la conductrice était née. Le lendemain, la pluie avait repris. Il nous a fallu 10 heures pour atteindre Fairbanks. Sur le chemin du retour, le temps me semblait ironiquement plus long, et les côtes plus pentues. Effectivement, à vélo, sur une route de terre, on a tendance à regarder directement au sol plutôt que devant soi. La perspective est donc fort différente de celle qu’on peut avoir à bord d’une voiture.

Voiture transportant mon vélo, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je suis arrivé tout juste avant la fermeture de l’épicerie. J’ai fait le plein de vivres et je suis retourné chez mon hôtesse Couchsurfing. Elle travaillait le lendemain à 8 heures et nous avons donc coupé court aux discussions. Le retour à la « réalité » urbaine était choquant. Je ne me sentais pas à ma place. Je devrais cependant repartir bientôt. L’aventure était loin d’être finie.

Top of the World Highway

Je me donnais trois jours pour reprendre des forces et réparer mon vélo. Malgré son piteux état, j’ai pu me contenter d’effectuer les réparations que j’avais prévues dix jours auparavant, et pour lesquelles j’avais commandé les pièces. J’ai profité des deux autres journées pour visiter les sources chaudes de Chena et la plage du lac Cushman.

La Top of the World Highway relie Jack Wade Junction, en Alaska, et Dawson City, au Yukon. À l’ouest, on trouve Chicken, Tok et Delta Junction, mes destinations pour les trois jours suivants. De Fairbanks à Tok, la route est anormalement plate pour la région, avec un dénivelé d’à peine 1 100 m sur 325 kilomètres. La situation change toutefois drastiquement de Tok à Dawson City, où le dénivelé est de 4 500 m sur 300 kilomètres.

Top of the World Highway, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Entre Chicken et Dawson City, la route n’est pas pavée et elle suit principalement la crête des hautes terres du Yukon-Tanana, d’où elle tire son nom de « Route du sommet du monde ». Elle est généralement située au-dessus de la ligne des arbres. Sur toute sa longueur, il est impossible d’y trouver de l’eau, en été. Près de Chicken, il est par ailleurs déconseillé de boire l’eau des rivières en raison des exploitations minières. Les douanier(e)s du poste frontalier de Little Gold offrent néanmoins de l’eau potable aux cyclistes.

Route Dempster

Puisque j’étais à nouveau hébergé chez une hôtesse du site Couchsurfing à Dawson City, j’aurais pu m’arrêter encore une fois pour me reposer. Cela dit, ma priorité était de consulter les prévisions météorologiques des prochains jours. J’avais dû faire face à des orages sur la Top of the World Highway, lesquels avaient à nouveau mis ma monture à mal. La route Dempster relie Inuvik, aux Territoires du Nord-Ouest (TN-O), et Dempster Corner, au Yukon, 40 kilomètres à l’est de Dawson City. La route n’est pas pavée et est également traitée au CaCl2.

S.S. Keno, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Les nouvelles étaient plutôt mauvaises. On annonçait de la pluie et du vent pour les prochains jours. Cela dit, à moyen terme, une fenêtre de beau temps s’annonçait plus au nord. Si je me déplaçais suffisamment rapidement, je serais en mesure d’en profiter là où j’en aurais le plus besoin, au nord du cercle polaire arctique, où les arbres sont rares et chétifs.

J’ai donc résolu de quitter la ville sans plus attendre. Avant de le faire, je tenais toutefois à m’assurer que mon ravitaillement avait bien été livré à Fort McPherson, aux TN-O. Après un problème avec mon envoi à destination de Coldfoot, en Alaska, j’avais dû faire acheminer ma nourriture en urgence, par avion. Je ne souhaitais pas revivre cette mésaventure.

J’ai bien fait de vérifier, puisque le paquet accusait un retard prévu de deux semaines. Brent, le cycliste ontarien que j’avais rencontré six semaines plus tôt à Waston Lake, au Yukon, m’avait cependant parlé d’un système non officiel d’envoi de nourriture sur la route Dempster. En effet, le centre touristique de la route Dempster, à Dawson City, offre aux cyclistes de demander à des touristes de transporter leur nourriture vers le nord.

Boîte de nourriture envoyée à Eagle Plains – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le lendemain matin, j’ai finalisé mes préparatifs : passer à l’épicerie et à la pharmacie; préparer la boîte d’envoi; livrer la boîte d’envoi; manger le plus gros déjeuner possible; et prendre la route. J’ai finalement quitté la ville un peu avant midi. Le ciel était couvert et il ventait passablement fort. Malgré ces conditions, je suis arrivé au centre d’interprétation du parc Tombstone un peu après 22 heures. Il est interdit de camper en forêt dans ce parc et, à proximité du centre, les risques d’être surpris par un(e) garde du parc sont particulièrement élevés.

Je comptais donc me « faire des ami(e)s » au camping de Tombstone. Ce procédé consiste à interagir avec des campeurs et campeuses jusqu’à ce qu’on soit invité à passer la nuit. Par chance, j’ai croisé un groupe d’Allemand(e)s réalisant un documentaire à quelques pas du camping. J’ai donc pu passer la nuit avec eux, légalement, dans le parc.

J’ai monté ma tente sous la pluie. À mon réveil, il pleuvait toujours. Je devais toutefois poursuivre ma route afin d’avoir une chance de profiter, plus tard, du beau temps. Ce matin-là, je devais faire l’ascension du col North Fork, à 1 400 m d’altitude. Je savais que ma transmission serait rapidement mise hors fonction. J’ai donc engagé ma troisième vitesse (24/28)[1] et j’ai amorcé la lente montée. Comme sur la route Dalton, ma chaîne se coinçait par intermittence, mais j’ai à nouveau pu m’en tirer sans chuter. Il a plu jusqu’en début d’après-midi.

Col North Fork, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Un peu au nord de l’aérodrome du lac Chapman, un automobiliste s’est arrêté pour discuter avec moi. Il m’a d’abord demandé si je m’appelais « Felix », ce que j’ai confirmé, incrédule. Il m’a alors informé que Brent m’attendait au camping du ruisseau Engineer. Depuis quelques jours, sachant que j’avais prévu emprunter la route Dempster à cette période de l’été, il envoyait des messages par l’entremise des automobilistes afin d’organiser un point de rencontre.

J’ai donc donné un dernier effort pour parcourir les 65 kilomètres qui me séparaient toujours du camping. À mon arrivée, je l’ai trouvé, en compagnie de Randy, un autre cycliste, et de quelques touristes réfugié(e)s dans l’abri de cuisine. Toute la surface du camping était couverte d’une épaisse couche de boue et la région était infestée de moustiques. Je les ai donc rejoint(e)s dans l’abri, où j’ai aussi passé la nuit.

Abri de cuisine au camping du ruisseau Engineer, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Brent avait croisé Randy à Inuvik. Le sexagénaire effectuait un aller-retour sur la route Dempster et Brent avait finalement choisi de l’accompagner. Il voyageait donc maintenant en direction sud et, moi, en direction nord. Nous nous sommes fait nos adieux le lendemain matin et avons poursuivi nos chemins respectifs.

Le ruisseau Engineer arbore une teinte orangée provenant du ruisseau Red. Celui-ci est contaminé par des dépôts ferreux. Il prend en amont une couleur noire, laquelle devient rouge à mesure que les minéraux qu’il transporte rouillent[2]. Les autorités yukonnaises recommandent de faire bouillir son eau pendant au moins une minute. Une cinquantaine de kilomètres en aval, l’eau de la rivière Ogilvie, dont le ruisseau Engineer est tributaire, est toujours teintée de rouge.

Ruisseau Engineer, Yukon – Image par Félix-Antoine Tremblay

Il s’agit malheureusement du dernier point d’eau avant le camp d’Eagle Plains, situé 120 km au nord-est. Il est donc impératif de faire le plein d’eau avant de quitter les abords de la rivière. Quelques ruisseaux incolores croisent toutefois la route Dempster avant qu’elle bifurque vers la crête Ogilvie, culminant à 877 m d’altitude.

Chargé de plus de 5 kg d’eau, j’ai lentement roulé jusqu’au sommet. La route serpente ensuite le long de la crête sur plusieurs dizaines de kilomètres en offrant des prises de vue impressionnantes sur les environs : la chaîne Ogilvie, les montagnes Selwyn, les plaines Eagle et la rivière Peel, ainsi que ses affluents. J’ai établi mon campement pour la nuit sous la ligne des arbres, 50 kilomètres au sud du camp d’Eagle Plains.

Crête Ogilvie, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le lendemain, j’ai récupéré ma boîte de nourriture au camp, j’y ai dîné et je suis reparti vers le nord. J’ai croisé le cercle polaire arctique vers 16 heures, puis j’ai passé la nuit dans l’abri de cuisine du camping de la rivière Rock. Comme au ruisseau Engineer, les moustiques y étaient intolérables. Cela dit, les nuages avaient enfin fait leur place au soleil, comme je l’espérais.

Route Dempster, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À mon réveil, le ciel était toujours clair. J’avais gagné mon pari. Malgré quelques journées pluvieuses à mon départ de Dawson City, je pourrais entrer aux TN-O avec une température clémente. J’ai passé le col Wright en fin de matinée, à 955 m d’altitude, et j’ai rejoint Fort McPherson en début de soirée. La ville me semblait bien peu hospitalière, j’ai donc mangé mon second dîner de la journée et je suis reparti en direction de Tsiigehtchic.

Richardson Mountains, Territoires du Nord-Ouest – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai atteint le traversier de la rivière Mackenzie à 23 h 15, soit 15 minutes avant le dernier départ. Alors que je me faisais patiemment dévorer par les moustiques, le capitaine du Louis Cardinal m’a invité à passer la nuit au camp des employé(e)s, sur la rive est de la rivière. J’ai pu y faire mon lavage et prendre une douche. En voyant la couleur de l’eau, j’ai rapidement compris pourquoi la tête me démangeait depuis quelques jours. J’étais couvert de poussière, soulevée par les nombreux camions qui parcourent la route.

Tsiigehtchic, Territoires du Nord-Ouest – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’approchais maintenant d’Inuvik, au bout de la route Dempster, où un couple croisé la veille m’avait également invité à dormir. À mon arrivée, il n’était que 15 heures. Je comptais donc me reposer et tenter de rejoindre Tuktoyaktuk, sur la rive de l’océan Arctique, en une seule journée. Le lendemain, on annonçait du soleil avec 15°C et un vent du nord à 15 km/h. C’était la dernière journée de la fenêtre de beau temps. À mon grand désarroi, envahi par l’anxiété, je n’ai pas trouvé le sommeil avant 3 heures du matin.

Route Inuvik-Tuktoyaktuk

À 10 heures, j’ai quitté la ville. Les arbres rachitiques du delta de la rivière Mackenzie laissaient ici place à la toundra. La route était mauvaise et le vent n’offrait aucun répit. Des équipes de travail mouillaient la route à peine compactée. La surface était couverte de pierre lâche atteignant parfois jusqu’à 10 cm d’épaisseur. Je peinais à conserver une vitesse de plus de 10 km/h. Maintenir mon équilibre était un combat de chaque instant. Mes abdominaux étaient en feu.

Route Inuvik-Tuktoyaktuk, Territoires du Nord-Ouest – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Un peu avant minuit, la vis avant de ma tige de selle a rendu l’âme en raison des fortes vibrations. Heureusement, je transportais des vis de rechange. À la fin de la saison, j’aurai dû la remplacer un total de cinq fois. Même avec le recul, je ne m’explique toujours pas ce problème récurrent. Je n’avais jamais subi un problème similaire auparavant. Quoi qu’il en soit, à ce moment, j’étais en furie. J’étais à court d’énergie, je donnais tout ce que je pouvais depuis maintenant 14 heures. Je n’avais pas besoin de ça. Au loin, je voyais Tuktoyaktuk. Il ne me restait que quelques kilomètres à parcourir.

Après quelques minutes de travail, je me suis ressaisi, j’étais presque rendu à destination. À cet endroit, la route changeait cependant de composition. La surface était maintenant lisse, mais rigide et traversée de traces de pneu profondes. On m’avait effectivement parlé de cette section, où l’on discerne l’histoire des accidents y ayant eu lieu : sorties de route et chutes de motocyclistes, avec les traces de pas ayant suivi. Il s’agit d’un tronçon qui avait été construit avant le lancement du projet de la route Inuvik-Tuktoyaktuk et dont l’infrastructure était déficiente.

Océan Arctique, Territoires du Nord-Ouest – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À l’entrée de la ville, j’ai croisé une famille qui faisait un feu au bord de l’eau. J’en ai profité pour prendre la photo protocolaire lorsqu’on atteint un océan, dans lequel on doit tremper les roues de sa monture. J’ai ensuite continué jusqu’au bout de la route (69° 26′ 34″ N), de l’autre côté du village. Il était 1 heure du matin, il faisait autant soleil qu’en plein jour et des enfants jouaient dehors. La situation semblait irréelle. Puisque la route n’avait été ouverte au trafic qu’en novembre 2017, presque aucune infrastructure touristique n’avait été développée. Les visiteurs et visiteuses campaient sur une pointe s’avançant dans l’océan. On venait d’y construire le panneau annonçant qu’il s’agit de l’océan Arctique.

Océan Arctique, Territoires du Nord-Ouest – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Sur la berge, un groupe d’autostoppeurs et d’autostoppeuses faisaient un feu. Malgré l’absence d’arbres dans la région, on y trouve du bois en abondance. Celui-ci est transporté vers le nord par les rivières se déversant dans l’Arctique. Un pêcheur nous a plus tard invité(e)s dans sa cabane pour manger du poisson séché. Vers 3 heures, il a pris son bateau pour aller nous chercher de l’alcool de l’autre côté de la baie. Pour acheter de l’alcool légalement, les résident(e)s de Tuktoyaktuk doivent aller à Inuvik. Il leur est interdit de posséder plus de 1,4 L d’alcool fort.

Nous avons passé la nuit debout. Une des deux autostoppeuses m’a informé que le propriétaire du restaurant End of The Road devait la transporter en ville à 9 heures. À mon grand plaisir, il a accepté de m’y amener aussi. Nous sommes arrivé(e)s un peu après 11 heures et il m’a déposé à l’épicerie, où j’ai fait le plein de nourriture avant de repartir à la recherche d’un transport vers le sud. Il m’aura finalement fallu quatre heures pour trouver une âme charitable.

Alors que je m’endormais littéralement debout, un policier de la Gendarmerie royale du Canada s’est arrêté à ma hauteur. « Where are you going? » m’a-t-il dit, avec sa voix sévère. J’étais inquiet, puisque j’ignorais s’il est légal de faire de l’auto-stop aux TN-O. Je lui ai dit que je tentais d’aller à Fort McPherson, ou plus loin vers le sud. Il a chargé mon vélo à l’arrière de son camion et nous avons parcouru les 200 kilomètres nous séparant du traversier de la rivière Peel en à peine 1 h 30.

Richardson Mountains, Territoires du Nord-Ouest – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Avant même que j’aie fini de décharger mes bagages, un habitant de Tuktoyaktuk attendant le traversier a accepté de me transporter jusqu’à Dempster Corner. Ma chance avait tourné. Une fois à bord, il m’a offert du poulet frit Kentucky. On trouve en effet une succursale de la chaîne au centre commercial d’Inuvik. Alors que nous faisions un court arrêt près du camping du ruisseau Engineer, il a jeté quatre cannettes de boisson gazeuse dans le fossé. Je n’ai rien dit. Je ne voulais pas risquer de le contrarier. J’avais besoin de lui pour encore 195 kilomètres.

Il m’a déposé à Dempster Corner vers 1 heure. J’étais debout depuis plus de quarante heures. Je devais encore parcourir les 40 kilomètres me séparant de Dawson City, à vélo. Je suis arrivé en ville un peu après 3 heures. Mon hôtesse Couchsurfing était certainement endormie. J’ai donc passé la nuit sur un banc, devant la chambre de commerce. J’étais exténué et je réalisais difficilement que c’en était terminé de l’Arctique. Je prenais maintenant la direction du sud. Mon prochain défi serait de faire face aux feux de forêt faisant traditionnellement rage dans l’ouest canadien à cette période de l’année.

La suite dans la prochaine édition,

Si le vélo vous passionne, devenez membre du CRABE à l’adresse suivante : www.etsmtl.ca/Evenements/CRABE

Pour plus d’informations sur les routes du Nord-ouest américain, consultez www.themilepost.com.

[1] Ce ratio correspond à un plateau de 24 dents et à un pignon de 28 dents, soit 86 tours de roue pour 100 tours de pédalier. Avec un pneu de 26×1,75″, cela équivaut à un déplacement de 1,7 m par tour de pédalier et à une vitesse de 8 km/h, à un rythme de 80 rpm.
[2] The all-natural ‘environmental disaster’: The Yukon creek that has been dyed red by rust for millennia, National Post bit.ly/2JVFJYS

Cet article a d’abord été publié en juin 2019 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].


Au Nord du 60e parallèle

  • 1 février 2019/
  • Publié par : Félix-Antoine Tremblay/
  • 0 commentaires /
  • Under : À la découverte du nord, Collaborations, Récits de vélo

Dans la dernière édition de L’Heuristique, je publiais le premier article d’une série sur mon plus récent voyage à vélo vers l’océan Arctique. Cet article y fait suite.

Carte du trajet parcouru – Image modifiée par Félix-Antoine Tremblay, basée sur l’image de Carol Spears, distribuée par Wikimedia
Yukon

Mon hôte, à Watson Lake, hébergeait également un cycliste ontarien nommé Brent. Celui-ci roulait en direction de Tuktoyaktuk, aux Territoires du Nord-Ouest, et nous sommes donc partis ensemble vers Whitehorse, le 16 mai. Malgré sa bonne forme physique, celui-ci préférait prendre son temps et nous nous sommes donc séparés le lendemain matin. Alors que nous roulions à quelques dizaines de kilomètres l’un de l’autre, dans la même direction, nous faisions relayer des messages par l’entremise des automobilistes qui s’arrêtaient pour discuter. En l’absence de réseau cellulaire, c’était pour nous le meilleur moyen de garder contact.

Route de l’Alaska, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Toutefois, à Whitehorse, nos chemins se séparaient. Il continuait vers le nord, et moi vers le sud. Plutôt que de suivre la route de l’Alaska, je prenais ici la route Klondike vers Carcross, au Yukon, et Skagway, en Alaska. Le col White, lequel sépare les bassins hydrologiques du Pacifique et du fleuve Yukon[1], se trouve entre ces deux communautés. Malgré une température très clémente, depuis mon départ de Vancouver, il faisait ce jour-là moins de 5 °C, avec de la pluie et un épais brouillard. Heureusement, j’attaquais le col depuis le nord, l’approche la plus facile.

Col White, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le lendemain, je devrais toutefois en payer le prix lors de l’ascension du col Chilkat, puisque tout ce qui descend finit par remonter. À 8 h du matin, j’ai pris le traversier de Skagway à Haines, de part et d’autre du canal Lynn. J’ai ensuite amorcé la lente ascension de ce second col. La température ne s’était pas améliorée depuis la veille. Au poste frontalier, les douaniers canadiens m’ont invité à dîner à l’intérieur pour me réchauffer et m’ont fait part de l’existence d’un abri d’urgence doté d’un poêle, au sommet du col. À mon arrivée, quelques heures plus tard, l’abri était heureusement vacant et j’ai pu y passer la nuit au sec, et au chaud. Bien que l’abri soit situé à plusieurs kilomètres de l’arbre le plus près, du bois de chauffage y est transporté par camion.

Abri d’urgence du col Chilkat, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Au lever du jour, il faisait toujours aussi froid, et il pleuvait légèrement. Cependant, le ciel s’est rapidement dégagé et j’ai finalement pu profiter du paysage de la route de Haines, réputé comme étant l’un des plus spectaculaires de la région. La route serpente au fond d’une vallée alpine sur quelques dizaines de kilomètres et, à cette période de l’année, la flore n’est pas encore sortie de sa dormance hivernale. Le contraste de la neige immaculée des sommets environnants avec les teintes jaunâtres et brunâtres de la végétation est saisissant.

Col Chilkat, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai rejoint la route de l’Alaska en soirée, à Haines Junction, au Yukon, où j’étais hébergé par un hôte du site Couchsurfing. Je prenais maintenant la direction de Valdez, en Alaska, où je devais monter à bord d’un traversier. La ville se trouvait à 875 km et je disposais de huit jours pour m’y rendre. À cette période de l’année, au nord du 60e parallèle, le soleil me permettait maintenant de rouler jusqu’à minuit, sans éclairage artificiel. À la recherche d’un défi, j’ai choisi d’augmenter le rythme. Ce faisant, j’ai parcouru les 470 km me séparant de Tok en trois jours. J’entrais désormais en Alaska pour de bon, et ma confiance était à son meilleur.

Nuage de sable, au-dessus de la rivière Slims, Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Alaska

Lorsque je suis arrivé à Glennalen, le surlendemain, j’évaluais maintenant mon avance à deux jours. Je suis donc passé au centre touristique pour découvrir les possibilités qui s’offraient à moi. Il était alors 16 h 30 et le centre fermait à 17 h. Sur un coup de tête, j’ai acheté un billet pour une navette qui me transporterait de Kenny Lake à McCarthy. Ce faisant, je pourrais visiter l’ancienne mine de Kennecott, au pied d’un glacier. Pour ce faire, je devrais toutefois rouler 160 km de plus, dont 100 km sur une route de gravier.

Site historique de la mine de Kennecott, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Alors que j’étais transporté jusqu’au bout de la route accidentée, mon anxiété ne faisait qu’augmenter. Le traversier de Valdez à Whittier ne passe que deux fois par semaine à cette période de l’année, et je ne pouvais donc pas me permettre de le manquer. À ma grande surprise, toutefois, j’ai finalement réussi à parcourir la section non pavée en à peine six heures. En approchant de Chitina, à environ 150 mètres au-dessus de la rivière Copper, je me suis arrêté quelques minutes pour observer le paysage. Les vents violents, probablement causés par le coucher du soleil, arrachaient le sable des berges de la rivière, ce qui générait d’imposants nuages de poussière. En dépit de sa beauté, le phénomène m’a toutefois posé problème lorsqu’est venu le moment de traverser ladite rivière. Sur le pont, le vent était si puissant que j’ai dû marcher à côté de mon vélo afin d’atteindre l’autre rive.

Rivière Copper, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le problème s’est également fait sentir lorsqu’est venu le moment d’installer ma tente. Heureusement, inquiet des forts vents dans les plaines de l’Arctique, j’avais fait l’achat d’une tente conçue pour y résister[2] avant le début de la saison. J’ai donc pu profiter d’une bonne nuit de sommeil, malgré le mauvais temps.

Col Thompson, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le 30 mai, victorieux, je suis arrivé à Valdez. J’ai pris le traversier vers Whittier le lendemain. Je devais initialement débarquer au port de Cordova et visiter le célèbre pont d’un million de dollars (Million Dollar Bridge), mais j’ai dû annuler ce détour. Lors de mon passage à McCarthy, j’ai malheureusement appris que la rivière Copper avait érodé une des approches du pont 339[3], causant la fermeture de la route d’accès.

Million Dollar Bridge, Alaska, endommagé par un tremblement de terre en 1964 – Photo de l’Historic American Engineering Record

Le village de Whittier n’est pas relié à Anchorage par une route proprement dite, mais les véhicules motorisés sont autorisés à emprunter le tunnel Anton Anderson Memorial, un ouvrage ferroviaire d’une longueur de 4,1 km. En socialisant sur le traversier, je n’ai pas eu de difficulté à trouver une âme charitable pour me transporter de l’autre côté.

Tunnel Anton Anderson Memorial, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Ce soir-là, j’ai fêté mon anniversaire au restaurant de l’auberge du lac Summit. J’ai ensuite installé ma tente dans la forêt de l’autre côté de la route. Au lever du jour, j’ai amorcé un dernier détour avant de prendre la direction de l’Arctique. J’ai laissé mes bagages à l’auberge, puis j’ai effectué un aller-retour de 150 km jusqu’à Seward. Finalement, le 2 juin, 5 275 km après mon premier départ de Vancouver, je suis arrivé à Anchorage. J’étais à nouveau hébergé par un hôte du site Couchsurfing et j’en ai donc profité pour prendre une journée de repos.

Lac Summit, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Après une telle distance, je devais impérativement effectuer un peu d’entretien sur mon vélo, notamment remplacer sa chaîne[4]. Après coup, mon hôte et moi avons effectué l’ascension du mont Flattop avant de visiter le centre-ville. Fort de ce jour de « repos », j’ai repris la route vers le nord, en direction de Fairbanks, mon dernier arrêt avant l’océan Arctique.

Mont Flattop, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Région de l’Intérieur

Alors que la saison estivale approchait, la température dépassait souvent 20 °C. Conséquemment, des orages se formaient fréquemment en après-midi. Malgré son passage au pied du mont Denali, la route George Parks est toutefois peu accidentée et mon arrivée à Fairbanks s’est donc faite sans histoire, hormis la rencontre impromptue de l’alpiniste Marty Raney, à Cantwell Junction. Après près de deux mois sur la route, je roulais maintenant en mode « pilote automatique ». Mes pensées étaient d’ailleurs fixées sur mon prochain défi : la route Dalton.

Orage sur la route George Parks, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Lorsque j’ai publié l’article Les Grandes routes du Nord américain, à vélo, j’avais effectué mes recherches dans l’optique de toutes les parcourir un jour. Ce faisant, j’avais pris connaissance de l’ampleur du défi qui se dressait devant moi. Le moment de vérité était enfin arrivé. Après avoir parcouru la route Translabradorienne, en 2016, puis la route Transtaïga, en 2017, j’étais fin prêt. J’étais maintenant au point de départ[5] de la plus nordique de ces quatre routes. Je comptais atteindre les rives de l’océan Arctique, à Deadhorse, en huit jours. Un ravitaillement postal m’attendrait à mi-chemin, au relais routier de Coldfoot.

Ravitaillement postal, Labrador (2016) – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Afin de maximiser mes chances de succès, j’ai passé deux nuits à Fairbanks, encore une fois chez une hôtesse du site Couchsurfing. J’ai passé la journée à finaliser mes préparatifs. J’ai notamment commandé plusieurs pièces pour les remplacer à mon retour : une chaîne, une cassette, des pneus, les roulements à billes de mes pédales et un jeu de pédalier. Le prochain atelier de vélo que je croiserais sur mon chemin était situé à Prince George, dans presque 5 000 km.

Route Elliott, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Sur ma route, on annonçait alors des températures d’environ 5 °C pour quelques jours, avant un réchauffement jusqu’à une quinzaine de degrés. Au mois de juin, cela correspondait à la moyenne pour cette région. J’y étais donc préparé. J’ai quitté Fairbanks sous la pluie et j’ai campé sous le panneau marquant le début de la route Dalton, 130 km au nord de la ville. Je n’avais déjà plus de réseau cellulaire, et je n’en aurais pas à nouveau avant d’atteindre le bout de la route, 670 km plus loin.

Mile 0 de la route Dalton, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Route Dalton

À mon réveil, il faisait 1 °C et il tombait de la neige fondante. Je suis sorti de ma tente pour prendre quelques photos. Je croyais que ce serait ma dernière chance d’en voir. J’avais tort. Quelques heures plus tard, au camp de la rivière Yukon, j’ai rencontré une cycliste québécoise qui faisait de l’autostop en direction sud. Elle avait pris l’avion jusqu’à Deadhorse, mais les conditions hivernales y prévalaient toujours et elle avait dû abandonner. Elle m’a raconté avoir croisé des cyclistes qui campaient sur le bord de la route, complètement gelés. Elle m’a aussi montré des photos de ce qui m’attendait.

Neige fondante sur la route Dalton, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Immédiatement, j’ai compris que les prévisions météorologiques étaient mauvaises. Je suis remonté en selle pour faire autant de kilomètres que possible avant la fin de la journée. Comble de malchance, des équipes d’entretien venaient tout juste de mouiller la route pour y ajouter du chlorure de calcium. Ce composé aide à rigidifier la surface des routes non pavées. Par contre, lorsque mouillé, il rend la boue glissante, collante et corrosive : un très mauvais mélange pour le vélo. En moins de dix kilomètres, mon vélo fraîchement mis au point avançait difficilement avec un seul de ses dix pignons et ses freins étaient hors service.

Boue traitée au chlorure de calcium, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Après un arrêt pour nettoyage forcé, j’ai pu reprendre la route. Avant de m’arrêter pour la nuit, j’ai fait bien attention de pédaler avec chaque plateau et pignon afin de les nettoyer, puis de freiner avec force, plusieurs fois, pour faire de même avec mes freins. Une fois dans ma tente, mon anxiété était à son comble. J’ai décidé de rouler jusqu’à Coldfoot le lendemain, 165 km plus au nord. Pour une troisième journée consécutive, je ferais face à un dénivelé d’environ 2 000 m.

Route Dalton, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je suis arrivé quelques minutes avant minuit, soit l’heure de fermeture de la cuisine du camp de Coldfoot. Quelques motocyclistes rencontrés sur la route m’y attendaient, bière à la main. Nous nous sommes couchés un peu avant 3 h du matin, sous le soleil. Je n’avais pas l’intention de rouler le jour suivant et je me suis donc levé tard. À mon réveil, j’ai rencontré deux cyclistes italiens qui venaient tout juste d’abandonner leur voyage vers Deadhorse. Le col Atigun, 115 kilomètres au nord, était impraticable. J’avais eu le même son de cloche de la part des motocyclistes qui étaient avec moi, mais je n’étais pas prêt à abandonner. Ils m’ont fait don de leur brosse à vélo pour maximiser mes chances.

Route Dalton, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

En après-midi, par un soleil radieux et une température de plus de 20 °C, je suis allé visiter le centre touristique de l’Arctique pour avoir plus d’informations sur ce qui m’attendait. Le garde forestier n’avait pas de bonnes nouvelles pour moi. On annonçait 10 cm de neige le lendemain, et des températures sous le point de congélation. Je devais absolument passer le col avant cette tempête. Il s’agissait du seul obstacle majeur entre ma position et l’océan Arctique.

Route Dalton, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je suis parti de Coldfoot vers 15 h et je suis arrivé au pied du col sept heures plus tard. À mon arrivée, j’ai été très surpris de voir un cycliste descendre depuis le plateau Chandalar. Celui-ci m’a informé que le col était praticable. J’ai coupé court à notre discussion et j’ai immédiatement enfourché mon vélo. J’ai atteint le sommet un peu après minuit, à 1 444 m. Il faisait alors 6 °C.

Flan nord du col Atigun, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

En quelques minutes, alors que je prenais des photos, la température a baissé jusqu’à 2 °C, le vent s’est levé et la neige a commencé à tomber. La route était glissante et j’ai dû descendre le col très lentement. À un peu plus de 1 100 m d’altitude, la neige s’est transformée en pluie. Sur les conseils des deux cyclistes italiens, j’ai trouvé refuge pour la nuit dans le garage d’une caserne abandonnée. J’étais désormais sur la North Slope, où ne pousse aucun arbre. Je me trouvais dans l’unique abri auquel j’aurais accès, d’ici Deadhorse.

Blizzard au pied du col Atigun, Alaska – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À mon réveil, il faisait 1 °C. La vallée où je me trouvais était balayée par de forts vents et était désormais couverte d’une dizaine de centimètres de neige. Il demeurait hors de question que je renonce à mon objectif. J’ai passé la journée à lire dans ma tente. Je n’ai mangé qu’un repas, cette journée-là. Je devais rationner mes vivres afin de garantir le succès de mon aventure. En soirée, je me suis résolu à passer une seconde nuit dans mon abri. Mon sac de couchage d’une cote de température de 2 °C montrait ses limites, malgré la doublure dont je l’avais garni. Il me restait des vivres pour quatre jours. J’étais à 275 km de Deadhorse.

La suite dans la prochaine édition,

Si le vélo vous passionne, devenez membre du CRABE à l’adresse suivante : www.etsmtl.ca/Evenements/CRABE 

Pour plus d’informations sur les routes du Nord-ouest américain, consultez www.themilepost.com.

[1] Le fleuve Yukon se jette également dans l’océan Pacifique, près du détroit de Béring.
[2] On trouve plusieurs vidéos montrant que la tente Hilleberg Akto peut résister à des vents de plus de 100 km/h, dont certains jusqu’à 130 et 140 km/h : bit.ly/2QDhYHu & bit.ly/2E9JydV
[3] Érosion d’une des approches du pont 339 de la route de la rivière Copper : bit.ly/2OkDST2
[4] À mon second départ de Vancouver, j’avais remplacé ma chaîne (675 km) et ma cassette (~3 000 km) pour une première fois. Je comptais les réinstaller à mon retour à Vancouver.
[5] Fairbanks est la dernière ville avant le début de la route, mais le mile 0 de la route se trouve en réalité 130 km plus au nord.

Cet article a d’abord été publié en février 2019 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].


Lac sans nom, 15 km au nord de Meziadin Junction

Départ vers le Grand Nord

  • 1 novembre 2018/
  • Publié par : Félix-Antoine Tremblay/
  • 1 commentaires /
  • Under : À la découverte du nord, Collaborations, Récits de vélo

En septembre 2014, après ma quatrième saison de cyclotourisme, je publiais dans ces pages un article intitulé Vélocipède[1]. J’y établissais un plan quadriennal qui devait m’amener vers les plus hauts cols des Rocheuses états-uniennes, ainsi qu’à travers le Canada et l’Alaska. À l’époque, mes ambitions me semblaient hors de portée. En rétrospective, je constate que celles-ci étaient plutôt conservatrices. Alors que je prévoyais parcourir environ 16 500 km à vélo, de 2015 à 2018, j’ai finalement parcouru plus de 40 000 km, une distance équivalente à celle du périmètre équatorial de la Terre.

Pour la saison 2018, mon objectif principal était de rouler de Vancouver à l’océan Arctique. Cela dit, après plusieurs itérations, mon parcours mesurait désormais 14 000 km et était divisé en quatre étapes. D’abord, une boucle depuis Vancouver sur la Sunshine Coast et l’île de Vancouver. Ensuite, un aller-retour de Vancouver à l’océan Arctique, soit l’étape la plus importante. Si tout se passait bien, je comptais ensuite rouler jusqu’à Tofino, avant de revenir à Vancouver, puis prendre l’avion jusqu’à Sudbury. Je passerais par les chutes du Niagara, avant de retourner à Montréal.

Carte du trajet parcouru – Image modifiée par Félix-Antoine Tremblay, basée sur l’image de Carol Spears, distribuée par Wikimedia
Île de Vancouver et Sunshine Coast

Le 11 avril, j’ai quitté Montréal par la voie des airs en direction de Vancouver. À ce moment, je n’avais pas utilisé mon vélo de cyclotourisme depuis mon retour de la baie James, l’année précédente. En fait, j’avais finalisé sa réparation à peine trois heures avant de mettre les pieds dans l’avion. Ce matin-là, je devais de plus déménager, puisque je venais de mettre fin au bail de mon appartement. Ce n’est donc qu’une fois à bord que j’ai vraiment pu porter mon attention sur les prochains jours, et les prochains mois.

Je suis arrivé en soirée puis, le lendemain, j’ai assemblé mon vélo. Le matin du 13 avril, j’ai finalement enfourché mon vélo en direction d’Earls Cove, où je comptais passer la nuit. Il faisait environ 10 °C et il pleuvait. Il ne m’a pas fallu longtemps avant de constater que je n’avais plus la même forme physique qu’à la fin de la saison précédente. Bien que je n’avais que 110 km à parcourir jusqu’à ma destination, la journée a été difficile. Malgré cela, je ne m’inquiétais pas trop. Cette portion de mon voyage visait justement à me réchauffer.

Départ de Vancouver – Photo par Benoit Potvin

J’ai d’abord effectué un détour vers Lund, le terminal nord de la route 101. Je suis ensuite retourné à Powell River pour prendre le traversier vers l’île de Vancouver. Après avoir passé la nuit dans un stationnement de Comox, j’ai pris la direction des montagnes, sur des routes forestières. En raison de la pluie abondante, celles-ci étaient dans un état déplorable. Les plus petits ratios de ma monture m’ont tout de même permis de faire l’ascension des côtes abruptes de l’île sans trop de difficultés.

Je suis passé par Port Alberni et Lake Cowichan avant de me diriger vers Port Renfrew et la côte du Pacifique. En chemin, j’ai croisé plusieurs panneaux indiquant que la route était sans issue ou fermée au public. Heureusement, je n’ai pas rencontré d’obstacle insurmontable avec un vélo ni d’agent de sécurité. J’ai retrouvé le confort du pavage près de Lake Cowichan, puis j’ai complété ma boucle en passant par Victoria et Sydney.

Rivière Comox – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Entre mon départ et mon arrivée à Vancouver, la température n’a finalement jamais dépassé 15 °C. Je n’ai d’ailleurs pas eu la chance de voir le soleil sur la Sunshine Coast. Nonobstant le succès de cette première étape, j’étais démoralisé. Je saisissais mal l’ampleur du défi auquel je faisais face, mais je savais que le froid et la pluie continueraient à se faire sentir jusqu’au début de l’été, deux mois plus tard. Je n’avais cependant pas le temps de m’apitoyer sur mon sort, puisque je devais maintenant me concentrer sur un examen à distance. La session d’hiver se terminait pour moi le 22 avril.

Sud-ouest de la Colombie-Britannique

Une fois l’examen complété, et après deux jours de repos, je devais maintenant prendre la route vers l’Arctique. Ma première destination était Bella Coola, où je devais prendre un traversier vers Prince-Rupert. Celui-ci passait toutes les deux semaines et il était donc impératif que j’arrive avant son départ.

J’ai quitté Vancouver le 25 avril. À ma surprise, j’ai parcouru 155 kilomètres pour cette première journée, soit jusqu’à Hope. En dépit du mauvais temps depuis mon arrivée en Colombie-Britannique, il faisait maintenant soleil et près de 30 °C. Je ne m’attendais pas à avoir chaud à cette période de l’année. Pire, je me dirigeai vers Lilliooet, une communauté située dans une des régions les plus chaudes et arides du Canada. Quoi qu’il en soit, cette performance m’avait redonné confiance en mes moyens.

Les jours suivants, toujours sous le soleil, j’ai réussi à maintenir le rythme, et ce, bien que la température ait dépassé 35 °C dans le canyon de la rivière Fraser. En altitude, le long de la route Cariboo, celle-ci était toutefois significativement inférieure. Près du sommet Begbie, à 1 232 m d’altitude, il faisait à peine plus de 5 °C. Je devrais toutefois m’habituer à ces variations de température. Bien que la saison estivale était en train de s’installer, ma progression vers le nord contrebalancerait le réchauffement. Après une journée froide et venteuse, j’étais maintenant à Williams Lake, à la jonction de la route Chilcotin. Ce soir-là, j’ai pu me réchauffer chez une hôtesse du site Couchsurfing.

Vallée Fountain – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Afin d’atteindre Bella Coola à temps, le défi était maintenant l’ascension du col Heckman, haut de 1 524 m. À environ 200 km du col, dans les hautes prairies de la région de Chilcotin, j’ai aperçu pour la première fois les imposants sommets enneigés de la chaîne côtière, au loin. Après mon départ d’Anahim Lake, le dernier village avant le col, l’accumulation de neige en bord de route s’est rapidement accrue. Au sommet, près duquel j’ai passé la nuit, celle-ci atteignait jusqu’à un mètre d’épaisseur.

Campement près du col Heckman – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À cet endroit, la route Chilcotin n’est pas pavée sur une soixantaine de kilomètres. Heureusement, malgré la fonte printanière, la route n’était pas particulièrement boueuse et la descente de 1 200 m, avec des pentes atteignant jusqu’à 15 %, s’est déroulée sans heurt. Au fond de la vallée, la température et le paysage étaient complètement différent(e)s. J’étais désormais entouré d’arbres côtiers surplombés par des montagnes aux flancs rocheux atteignant parfois plus de 2 000 m.

Je suis finalement arrivé à Bella Coola en fin d’après-midi, deux jours avant le départ du traversier. J’ai profité de cet intervalle pour faire de l’escalade avec un touriste de Whistler. Le 5 mai, à trois heures du matin, j’ai rangé ma tente et je suis allé au quai de BC Ferries. Deux heures plus tard, le plus petit traversier de leur flotte, le Nimpkish, est parti en direction de Bella Bella. Ce matin-là, nous n’étions que cinq passager(e)s à bord, en plus de l’équipage.

MV Nimpkish, Bella Coola – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le traversier a accosté à Bella Bella un peu après minuit. Après une escale de deux heures, je suis monté à bord du plus imposant Northern Adventure pour compléter le trajet vers Prince-Rupert. Cette seconde embarcation m’avait également transporté vers cette ville en 2016, depuis Port Hardy.

MV Northern Adventure, Port Hardy (2016) – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Trente-cinq heures après avoir quitté Bella Coola, je suis finalement arrivé à ma destination. J’ai immédiatement commencé à rouler vers l’est en faisant du pouce, sans égard aux nombreux panneaux interdisant de le faire. Il m’a fallu parcourir une vingtaine de kilomètres avant qu’un passant offre de me transporter jusqu’à Terrace. J’avais déjà emprunté cette route à vélo, lors de ma première traversée du Canada, et je n’avais pas l’intention de le refaire. Je comptais plutôt reprendre la route depuis Kitimaat. Le lendemain matin, soit le 7 mai, je suis monté à bord d’un autobus de BC Transit en direction de ce village, avant de repartir vers le nord, à vélo.

Nord-ouest de la Colombie-Britannique

Bien que les possibilités d’approvisionnement soient presque inexistantes sur la route Chilcotin, longue de 450 km, c’est en quittant Terrace que j’amorçais vraiment mon aventure. À partir d’ici, et pour plus de deux mois, je m’alimenterais principalement à partir de ravitaillements postaux[2]. Je n’avais pu identifier que Whitehorse, au Yukon, ainsi qu’Anchorage et Fairbanks, en Alaska, comme endroits où j’étais certain de trouver des repas déshydratés. Ces envois postaux devaient me propulser sur plus de 8 000 km, soit jusqu’à Dawson Creek, en Colombie-Britannique.

En 2016, j’avais dû effectuer trois envois de ce type, au Labrador. J’avais donc de l’expérience avec la méthode, mais, cette fois-ci, je devrais me faire livrer dix de ces colis. Il était donc impératif que j’atteigne mes objectifs tout au long de la saison, faute de quoi je me retrouverais, par moment, avec trop ou pas assez de nourriture.

Rations de nourriture, Labrador (2016) – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À mon retour à Terrace, j’ai fait le plein de vivres et je me suis dirigé vers le champ de lave des Nisga’a et le village d’Aiyansh. À cet endroit, un chemin forestier suit la rivière Nass jusqu’à Cranberry Junction, où il rejoint la route Stewart-Cassiar. Cette route de 725 km relie la Colombie-Britannique au Yukon en croisant quelques points de services ainsi que les villages d’Iskut et de Dease Lake.

Parc commémoratif du champ de lave des Nisga’a – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Sur presque toute sa longueur, la route est bordée de part et d’autre par des sommets la dominant par plus de 1 000 m. Celle-ci traverse plusieurs bassins hydrologiques et le relief y est donc plutôt accidenté. À cette période de l’année, les lacs y sont pour la plupart gelés et il n’est pas rare de trouver de la neige aux abords de la route. Un(e) cycliste s’y aventurant ne pourrait faire autrement que de se sentir minuscule, dans cette région aux apparences inhospitalières.

Lac Dease – Photo par Félix-Antoine Tremblay

De surcroît, la région isolée que traverse la route Stewart-Cassiar est infestée d’ours. Ceux-ci sont d’ailleurs particulièrement actifs au printemps, puisqu’ils doivent s’alimenter après leur hibernation. Jusqu’à Dease Lake, je pouvais en voir jusqu’à une dizaine par jour. Heureusement, je pouvais compter sur la boîte à ours (bear can)[3] que j’avais achetée en 2015, laquelle ne m’a jamais déçu, après des centaines de nuits d’utilisation.

En cas de problème, d’un bout à l’autre de la route, on ne peut capter des ondes cellulaires que dans la ville de Stewart. Celle-ci est située à une soixantaine de kilomètres à l’ouest de Meziadin Junction, sur la route 37A. En empruntant cette route alternative, j’ai pu visiter le village de Hyder, en Alaska. À cet endroit, il n’y a étrangement pas de poste frontalier pour entrer aux États-Unis, probablement en raison de la petite taille de la municipalité, et puisqu’aucune route ne la relie au reste de l’état.

Frontière canado-états-unienne à Hyder – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je comptais initialement profiter de mon passage pour effectuer l’ascension de la route Granduc, vers le belvédère du glacier Salmon. Malheureusement, celle-ci était trop enneigée et, comme me l’a expliqué une résidente de Stewart, les glaciers ne sont visibles que lorsque la neige a fondu. Je suis donc retourné au Canada sans plus attendre, d’autant plus qu’aucun des rares commerces du village états-unien n’était ouvert au moment de ma visite.

Glacier Bear – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Yukon

Alors qu’on s’approche du Yukon, le paysage change drastiquement. Au nord du Lac Good Hope, en Colombie-Britannique, les montagnes laissent leur place à un plateau couvert d’une forêt dense. Le trafic routier est quant à lui significativement plus élevé après la jonction avec la route de l’Alaska. Conséquemment, ce retour à la « civilisation » était plutôt décevant.

Frontière du Yukon – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Dans l’ensemble, j’étais tout de même heureux d’arriver à Watson Lake, au Yukon, où j’étais hébergé par un hôte du site Warmshowers. En plus de pouvoir interagir avec un humain, chose rare au cours des dernières semaines, je pourrais y prendre une douche. Le froid m’avait dissuadé de me laver dans les cours d’eau comme j’en avais l’habitude et c’était donc seulement ma deuxième occasion de le faire, en trois semaines. Cet arrêt m’a également permis de planifier avec plus de précision les semaines à venir. Afin de ne pas nuire à ma motivation, je ne pouvais pas me permettre de réfléchir à long terme.

J’étais désormais au nord du 60e parallèle, plus au nord que je ne l’avais jamais été, mais l’aventure ne faisait que commencer. Depuis le 25 avril, je ne m’étais pas blessé, je n’avais pas endommagé mon vélo, il n’avait plu que pendant une journée, et la température n’était jamais descendue sous la barre des 5 °C, pendant le jour. Je savais toutefois que cette chance ne pourrait pas durer.

La suite dans la prochaine édition de L’Heuristique.

Si le vélo vous passionne, devenez membre du CRABE à l’adresse suivante! www.etsmtl.ca/Evenements/CRABE 

[1] Vélocipède, L’Heuristique
[2] Sans s’y limiter, REI (É-UA) et MEC (Canada) acceptent d’effectuer des livraisons en poste restante (general delivery, aux É-UA et dans le reste du Canada). L’Association de la Pacific Crest Trail a rédigé un guide à ce sujet, lequel peut s’appliquer ailleurs : bit.ly/2NDzzx2
[3] Une boîte à ours est un contenant protégeant la nourriture contre les ours. Le modèle que j’utilise est le Bearikade Expedition MKII, lequel est scellé et protège contre la propagation des odeurs.

Cet article a d’abord été publié en novembre 2018 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].


Nouvel été, nouvelle aventure!

  • 1 janvier 2018/
  • Publié par : Félix-Antoine Tremblay/
  • 0 commentaires /
  • Under : Collaborations, Récits de vélo

En septembre 2016, je publiais un article intitulé Les Grandes routes du Nord américain, à vélo[1]. Dans ce texte, je présentais quatre des routes les plus isolées du nord du continent américain. À l’époque, je venais de compléter l’une d’entre elles, soit la route Translabradorienne, après avoir traversé le Canada.

Deux ans auparavant, dans l’article Vélocipède[2], j’annonçais non seulement ce voyage, mais aussi mon intention de parcourir la Dempster Highway et la Dalton Highway, respectivement en 2017 et 2018. Toutefois, des travaux visant à prolonger la Dempster Highway jusqu’à Tuktoyaktuk, sur les rives de l’océan Arctique, m’ont poussé à retarder cette aventure d’une année. Cette route a été complétée le 15 novembre 2017[3] et c’est donc à l’été 2018 que je partirai à la conquête de l’Arctique.

L’été dernier, je me suis donc rabattu sur des trajets moins difficiles en préparation pour la route Transtaïga, à la Baie-James. J’ai séparé mon trajet en quatre parties : de Vancouver à San Diego; de Rock Springs à Montréal; de Montréal à Halifax, aller-retour; et du réservoir Caniapiscau au Lac-Saint-Jean.

Planification

Cette aventure de 13 400 km représentait plusieurs défis logistiques, notamment quant au transport, au ravitaillement et aux conditions météorologiques.

Tout d’abord, les cols des Rocheuses états-uniennes, beaucoup plus hauts que les cols canadiens, sont parfois fermés jusqu’en juillet en raison de la neige. Dans l’est, le traversier entre la Nouvelle-Écosse et le Maine n’est en service qu’à partir du 31 mai. Quant à la route Transtaïga, les conditions hivernales se prolongent jusqu’en juin. J’ai donc dû me résoudre à traverser le pays à deux reprises. Pour des raisons économiques, j’ai effectué le trajet en autobus, soit une durée totale de 7 jours.

En raison de l’isolement de la route Transtaïga, l’unique solution abordable était le transport en voiture. J’ai trouvé deux volontaires et j’ai déboursé leurs coûts de transport depuis Montréal jusqu’au réservoir Caniapiscau, un aller-retour de 4 000 km. Grâce au transport automobile, j’ai pu déposer des ravitaillements en nourriture à deux relais le long du trajet, ce qui m’a évité la gestion du ravitaillement postal, comme sur la route Translabradorienne. Cela m’a aussi permis de visiter les barrages hydroélectriques qui ne sont pas situés directement sur la route.

Trajet prévu – Image produite avec Google Earth
Côte Ouest des États-Unis

J’ai quitté Montréal le 19 avril, le lendemain de mon dernier examen. Après une journée de préparation finale, à Vancouver, j’ai enfourché ma bicyclette en direction de San Diego. Mon trajet suivait la côte d’aussi près que possible, ce qui m’évitait de devoir traverser les agglomérations de Seattle et Portland. Il m’a tout de même fallu quatre jours pour avoir vue sur l’océan Pacifique, près de Forks.

Vue sur l’océan Pacifique, près de Forks – Photo de Félix-Antoine Tremblay

Deux cents kilomètres plus au sud, j’ai dû franchir un premier obstacle : le pont d’Astoria. Cet ouvrage de 7 km franchissant le fleuve Columbia n’est pas doté d’accotements. La traversée de ce pont signifiait aussi mon arrivée en Oregon, le point fort de cette première étape de mon voyage. Le lendemain, alors que je me dirigeais vers Cape Meares, j’ai rencontré le premier éboulement le long de ma route. Faute de surveillance, j’ai tout de même emprunté la route, ce qui m’a évité un détour d’une dizaine de kilomètres.

Pont Astoria-Megler – Photo par Gord McKenna, Flickr

Les jours suivants, j’ai croisé des dizaines de glissements de terrain. De nombreux passants et passantes m’ont informé d’importantes fermetures de routes en Californie. J’avais toutefois la tête ailleurs, alors que je me préparais pour la difficile traversée de la Lost Coast. J’ai publié un article intitulé Lost Coast, California[4] spécifiquement au sujet cette route dans l’édition de juillet 2017.

Route #1, Californie – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Une fois à San Francisco, l’unique moyen de contourner les fermetures le long de la route #1 aurait été d’utiliser la route #101, une autoroute passante évitant complètement la magnifique région de Big Sur. J’ai donc loué un véhicule afin d’aller passer quelques jours dans la vallée de Yosemite. L’endroit est bordé de part et d’autre par d’imposantes falaises de granite franchies par d’impressionnantes chutes, lesquelles font la renommée de la région.

Vallée de Yosemite – Photo par Howard Ignatius, Flickr

Après ce repos de quelques jours dans les montagnes, j’ai laissé le véhicule de location à Santa Barbara. Il ne restait alors que trois jours avant mon arrivée à San Diego et la fin de cette première section du voyage. Une fois à destination, j’ai dormi en périphérie du centre-ville, puis, à 6 h du matin, j’ai pris place dans le premier des quatre autobus qui me transporteraient respectivement vers Phoenix, Saint Louis, New York et Montréal, en un total de 80 heures.

Provinces de l’Atlantique

Après quelques jours à Montréal, j’ai à nouveau quitté la ville le 23 mai, cette fois-ci en direction de Halifax. J’ai tout d’abord pris la route vers le parc national d’Acadia et le mont Cadillac. J’ai ensuite longé la côte vers la Nouvelle-Écosse, en effectuant un détour vers le parc provincial Hopewell Rocks. J’ai heureusement réussi à synchroniser mon arrivée avec la marée basse afin de pouvoir marcher au bas de la falaise, sous les fameux rochers.

Rochers Hopewell – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Ce soir-là, pour ma fête, je me suis arrêté à un Irving Big Stop. Après une journée froide et pluvieuse, j’ai grandement profité des services offerts aux camionneurs et camionneuses : réseau Wi-Fi plus rapide, douches de luxe, laveuse et sécheuse, salon avec divans et télévision, restaurant et épicerie, ainsi qu’un énorme terrain gazonné où planter ma tente.

Irving Big Stop – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le lendemain, j’ai complété la route vers Halifax. Pour mon retour à Montréal, je prenais maintenant la direction de Yarmouth, afin de prendre le traversier vers Portland. Malgré des vents dominants soufflant d’ouest en est, j’ai atteint ma destination sans difficulté et je suis donc rentré aux États-Unis quatre jours plus tard, en début d’après-midi.

Je n’étais alors qu’à 475 km de Montréal et je comptais m’y rendre trois jours plus tard. J’ai roulé jusqu’au coucher du soleil afin d’approcher autant que possible du pied du col Kangamagus, haut de 863 m. J’ai atteint le sommet vers midi. En ce 6 juin, il ne faisait que 42 °F, avec de la pluie. 25 km au nord-est, au sommet du mont Washington, il neigeait.

Sommet du col Kangamagus – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le lendemain soir, j’ai atteint Burlington. Je n’étais plus qu’à 150 km de Montréal et je comptais arriver en fin d’après-midi. Je suis parti tôt avec l’intention de déjeuner sur la route, à South Hero. En empruntant le Colchester Causeway, j’économisais 15 km et je pouvais profiter de la vue unique offerte par cette digue traversant le lac Champlain.

Ce raccourci s’est toutefois avéré être un cauchemar. À 300 m de la rive, près de South Hero, la digue est interrompue afin de laisser passer les bateaux. Au lieu d’un pont-levis, il faut prendre un traversier pour vélos, lequel n’est ouvert que les fins de semaine à cette période de l’année. J’ai dû rebrousser chemin et effectuer un détour de 30 km pour arriver à South Hero.

Colchester Causeway – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai donc redoublé d’efforts. Je ne transportais plus de nourriture et ma motivation atteignait des sommets. J’ai roulé entre 30 et 35 km/h toute la journée, si bien que je suis arrivé sur la Rive-Sud en fin d’après-midi. Ma joie de vivre a cependant à nouveau été ternie en raison de la fermeture du circuit Gilles Villeneuve, m’empêchant de prendre le pont de la Concorde. Ce détour par l’île des Sœurs a ajouté un autre 10 km à ma journée, portant le total à 195 km. Quoi qu’il en soit, j’étais enfin à la maison, pour quelques jours.

Traversée du Canada et rocheuses états-uniennes

Le 14 juin, après avoir remplacé ma chaîne et ma selle, dont une des tiges d’acier s’était rompue en Oregon, j’ai repris la route. J’aurais cependant dû faire plus attention lors de mon entretien. Au cours du mois suivant, je me suis vu forcé d’arrêter à quatre reprises pour effectuer des réparations d’urgence.

À Ottawa, j’ai dû remplacer les galets de mon dérailleur arrière. À Petawawa, j’ai fait inspecter, nettoyer et ajuster ma transmission, laquelle me posait toujours des problèmes. À Thunder Bay, j’ai dû remplacer ma chaîne et ma cassette. À Winnipeg, j’ai à nouveau fait nettoyer et ajuster ma transmission. J’ai aussi dû acheter un nouveau boîtier de pédalier. Mes problèmes n’étaient pas encore réglés, mais j’étais résigné quant à l’état de ma bicyclette. Même les meilleures pièces ne peuvent visiblement pas résister à des dizaines de milliers de kilomètres d’usure. Mon pari, en début de saison, de ne pas remplacer préventivement l’ensemble des pièces de la transmission avait visiblement été une erreur.

Galets de dérailleur arrière (à gauche, neuf; à droite, usé) – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Nonobstant ces obstacles, un mois après avoir quitté Montréal, j’étais finalement à Calgary. Par chance, je n’avais pas fait face à de trop forts vents provenant de l’ouest. J’avais même pu profiter d’un vent de dos de Regina à Swift Current, ce qui m’avait permis de parcourir 250 km en un(e) après-midi! Je prenais maintenant la direction des montagnes, et il n’était plus temps de prendre des risques. J’ai remplacé les dernières pièces pouvant encore poser problème et j’ai continué ma route.

Badlands de l’Alberta – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Les feux de forêt battaient leur plein en Colombie-Britannique et j’ai été accueilli dans les Rocheuses par une dense fumée et une pluie de cendre. Une fois passée la ville de Canmore, ma route bifurquait cependant vers le sud. J’ai donc choisi de continuer malgré les mauvaises conditions.

Fumée des feux de forêt, près de Canmore – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai quitté la vallée de la rivière Bow en début de soirée, en direction des lacs Spray. J’ai campé au bord du réservoir supérieur après avoir complété la plus grande ascension de la Smith Dorrien Trail. La route de gravier était en très mauvais état et ma progression était grandement ralentie.

À mon réveil, j’avais une crevaison. Comble de malheur, j’avais perdu l’adaptateur de valve Presta de ma pompe. Celle que j’utilisais auparavant avait rendu l’âme en Californie et je me contentais à ce moment d’une pompe à valve Schrader, incompatible avec mes chambres à air. J’ai abandonné mon vélo dans la forêt et j’ai fait du « pouce » vers Canmore. Quatre heures plus tard, grâce à l’aide de cinq automobilistes différents, et avec 2 $ de moins en poche, j’étais de retour à mon point de départ avec un nouvel adaptateur. Il était 15 h lorsque j’ai pu reprendre la route et je devais parcourir 100 km pour respecter ma planification journalière.

Smith Dorrien Trail – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Je n’ai pas baissé les bras et, en début de soirée, j’ai atteint le sommet du col Highwood, soit la plus haute route pavée au Canada. La route était ensuite toute en descente et je suis arrivé au relais de Highwood House au coucher du soleil. 140 km me séparaient maintenant de Sparwood, dont 110 km de gravier, avec un dénivelé d’environ 2 000 m. Heureusement, cette route était en bien meilleur état que la Smith Dorrien Trail.

J’ai atteint la ville le jour suivant, juste avant la fermeture des restaurants, un luxe après deux nuits en forêt. Cette nuit à Sparwood était la dernière au Canada pour cette section du voyage. Je prenais maintenant la direction des États-Unis, vers Rock Springs. Sur ma route, j’emprunterais d’abord le col Logan et la célèbre Going-to-the-sun-road, présentée dans l’introduction du film The Shining.

Going-to-the-sun-road, Montana – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Après ce col et un passage à Helena, j’ai bifurqué vers l’est en direction de Red Lodge, au pied du col de Beartooth. Le jour de l’ascension, afin d’éviter les orages d’après-midi, j’ai réglé mon cadran à 5 h du matin. En fin d’avant-midi, je suis arrivé au sommet du monstre culminant à 3 345 m, soit presque 1 800 m au-dessus de Red Lodge. J’ai terminé la journée à Cooke City, à la porte du parc national de Yellowstone, dans lequel j’ai passé les deux journées suivantes.

Col de Beartooth – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Malgré une planification serrée, en roulant du matin au soir, j’ai pu visiter de nombreux points de vue à couper le souffle dans le Parc. J’ai vu une centaine de geysers dont le célèbre Old Faithful, que j’ai eu la chance de voir entrer en éruption. J’ai aussi pu observer la tout aussi célèbre source chaude Grand Prismatic. À la sortie du Parc, je suis également passé au pied de l’impressionnante chaîne des Tétons, dont certains sommets culminent plus de 2 000 m au-dessus de la vallée.

Geyser Old Failthful – Photo par Félix-Antoine Tremblay

La vue de ces paysages hors du commun justifiait amplement l’ennuyante traversée de l’Ontario, les journées suffocantes dans les plaines arides du Montana où le mercure atteignait 130 °F au soleil, ainsi que les nombreux bris mécaniques. C’est même avec une certaine mélancolie que je comptais les derniers kilomètres me séparant de Rock Springs. Deux jours après être sorti du parc national de Grand Teton, j’avais terminé cette troisième section de mon aventure.

Chaîne des Tétons – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Pour retourner à Montréal, il me restait à prendre l’autobus pendant trois jours. Toutefois, le premier de sept autobus est arrivé avec 6 h de retard, ce qui m’a fait rater tous les autobus suivants. À mon arrivée à Montréal, à 3 h du matin, ce retard totalisait maintenant 12 h. En effet, voyager en autobus n’a pas que des avantages.

Je n’avais cependant pas le temps de m’apitoyer sur mon sort. Je devais me préparer pour la dernière section de mon voyage, de la Baie-James au Lac-Saint-Jean. Je devais notamment remettre mon vélo en état et chausser ses nouvelles roues 26″, dotées de pneus d’un diamètre de 45 mm, spécialement assemblées pour la route Transtaïga.

La conclusion de cette aventure dans l’édition de mars,

[1] Les Grandes routes du Nord américain, à vélo, L’Heuristique
[2] Vélocipède, L’Heuristique
[3] Vous pouvez conduire jusqu’à l’arctique, Radio-Canada
[4] Lost Coast California, L’Heuristique

Cet article a d’abord été publié en janvier 2018 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].


Retour en force

  • 1 novembre 2017/
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Dans les dernières éditions de L’Heuristique, je publiais les cinq premières parties d’un texte concernant mon voyage le long de la route Translabradorienne, une route reliant Blanc-Sablon à Baie-Comeau, en passant par Labrador City.

Après environ 1 h 30 d’attente à l’urgence, j’ai finalement rencontré une infirmière. Après quelques questions, j’ai dû retourner dans la salle d’attente. Vers 4 h du matin, j’ai enfin pu parler à un médecin et, après une prise de sang, j’ai dû patienter deux heures avant de le revoir. Le verdict : rien. Je n’avais rien. Je n’étais même pas déshydraté. Voilà qui était rassurant…

Je suppose qu’après une centaine de journées à faire du vélo, mon corps avait développé un certain niveau de résistance. J’étais donc à 700 kilomètres de chez moi, seul, avec mon vélo, et j’étais malade, mais je n’avais « rien ». Le médecin s’apprêtait à me laisser partir ainsi, mais en discutant avec lui, j’ai réussi à obtenir un soluté et une prescription d’antibiotiques, de même qu’une dose de ces antibiotiques à consommer immédiatement.

À 7 h 30, j’étais prêt à partir. Je me sentais un peu mieux. Du moins, pour une personne malade et debout depuis 24 heures, dont plus de 12 sans boire, je me sentais « bien ». Heureusement pour moi, j’avais un contact Warmshowers[1] à Baie-Comeau. Je lui ai envoyé un message texte lui expliquant ma situation vers 6 h. Elle était déjà debout et, pour ajouter à ma chance, elle était médecin à cet hôpital. Le hasard fait bien les choses. Elle est donc venue me chercher vers 8 h, puis m’a reconduit jusque chez elle, avant d’aller travailler.

Baie-Comeau, Québec – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai passé cette journée et la suivante à dormir. Pendant ce temps, j’avais établi plusieurs scénarios : le premier était l’abandon complet, un de mes oncles m’offrait de venir me chercher; le deuxième était de repartir depuis Baie-Comeau et de rouler jusqu’à Kegaska, puis de revenir une autre année terminer la route #389; le troisième était de faire de l’autostop à nouveau pour retourner là où j’avais abandonné, près de Manic-Cinq. Dans un élan de détermination, j’ai opté pour le troisième.

Le lendemain matin, mon hôtesse m’a transporté jusqu’à la jonction entre la #389 et la #138. Après que j’aie attendu environ 30 minutes, un touriste a finalement accepté de me transporter jusqu’au kilomètre 180, soit là où j’avais flanché trois jours auparavant. Je suis arrivé à destination vers 13 h, ce qui me laissait amplement de temps pour rouler jusqu’au Relais Manic-Outardes, situé au kilomètre 94. Le trajet, bien que difficile, s’était très bien déroulé, et j’avais enfin retrouvé mon appétit! J’ai donc profité du service de cafétéria pour me rassasier.

Centrale Jean-Lesage, Québec – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’avais regagné confiance en mes capacités pour le reste de l’aventure. Cela dit, j’accusais un retard de trois jours sur mon échéancier. J’ai donc commencé à planifier la manière dont j’allais rattraper ce retard. Lors de mon passage à Saint John’s, j’avais rencontré un couple de cyclistes de Sept-Îles, lequel m’avait proposé une entrevue à Bonjour la Côte[2], une émission radio matinale de Radio-Canada. Cette entrevue avait lieu dans trois jours. Je devais donc franchir 330 kilomètres en trois jours, ce qui n’était absolument pas un problème. Par contre, même en ne prenant pas congé à Sept-Îles comme je l’avais prévu, cela ne me laisserait ensuite que deux jours pour en parcourir 470, un défi de taille.

Comme prévu, la route jusqu’à Sept-Îles ne s’est pas avérée bien difficile. Pour le premier tiers, la route #389 a continué à offrir des pentes à pourcentages élevés, mais je commençais à m’y faire. Ensuite, de Baie-Comeau à Baie-Trinité, j’ai à nouveau dû faire face à quelques bonnes côtes, mais rien en comparaison avec les plus difficiles sections de la #389. Une fois arrivé à Baie-Trinité, c’en était terminé avec les montagnes. Mis à part quelques buttes, la route suivait maintenant le bord du fleuve Saint-Laurent.

Franquelin, Québec – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Ce soir-là, j’ai campé sur les magnifiques plages de sable de la Côte-Nord. Le contraste entre Pointe-aux-Anglais et la route Translabradorienne était frappant. Il faisait soleil, il faisait relativement chaud, il n’y avait pas d’insectes, et la vue était à couper le souffle. Après une bonne nuit de sommeil, j’ai repris la route vers Sept-Îles. L’absence de côtes aidant, je roulais souvent à une trentaine de kilomètres-heure. Je suis arrivé à ma destination en fin d’après-midi. J’en ai profité pour retourner la caméra que j’avais « empruntée » à Labrador City et les pédales que j’avais achetées. Les miennes avaient finalement survécu jusqu’ici et j’allais enfin recevoir celles que je m’étais fait livrer par la poste.

Plage de Rivière-aux-Anglais – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Sprint final

Après mon entrevue matinale, j’ai repris la route. Je devais rouler vite, et longtemps. Il était environ 10 h et mon objectif était d’atteindre Mingan ce soir, à une distance de 190 km. Il me restait une dizaine d’heures d’ensoleillement et je devais donc conserver une moyenne d’au moins 20 km/h, en incluant les pauses repas, les pauses photo, etc. Tout s’est passé très vite, ma concentration était pour une rare fois portée sur ma performance et un peu moins sur ce qui m’entourait. Heureusement pour moi, après plus de 11 000 km, mon corps était au sommet de sa forme.

Chute Manitou – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai donc atteint ma destination vers 19 h et j’ai installé ma tente au bord de la rivière Mingan. Je me suis réveillé au beau milieu de la nuit pour me soulager. C’est alors que je me suis souvenu que c’était la période des Perséides. Je suis donc resté une dizaine de minutes hors de ma tente à contempler les étoiles filantes, mais je devais retourner dormir. 190 kilomètres me séparaient encore de Pointe-Parent.

Rivière Mingan – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai pris la route vers 8 h et je suis entré dans Natashquan huit heures plus tard. Je suis arrivé à Pointe-Parent peu après. Mon contact Couchsurfing[3] m’attendait la veille, mais je l’avais informée de mon retard. Pendant le souper, elle m’a annoncé qu’elle partait le lendemain matin en voiture vers Mingan, à 8 h, plus précisément. C’est alors que m’est venue l’idée de rouler jusqu’à Kegaska en pleine nuit et de revenir avant son départ afin de profiter de son véhicule pour me rapprocher de Montréal.

J’ai mis mon cadran à 1 h, ce qui me laisserait un peu plus de 3 heures de sommeil. À 2 h, j’étais hors de la maison, armé de ma lampe frontale d’une puissance d’à peine 60 lumens. Je devais parcourir 90 kilomètres en 6 heures, mais la route était non pavée et, évidemment, non éclairée. Je devais conserver une moyenne d’au moins 15 km/h pour être de retour à temps.

La route était mauvaise. Je ne voyais pas les trous et la route était parsemée de « trappes de sable », lesquelles menaçaient constamment de me faire chuter. Vers 3 h 30, le soleil commençait à se lever et ma lampe frontale médiocre était désormais inutile. À 4 h 30, j’ai atteint le bout de la route #138, à Kegaska. Je suis arrivé juste à temps pour le lever du soleil. Faute d’une bonne caméra, j’ai cependant été incapable d’immortaliser ce moment, lequel restera toutefois longtemps gravé dans ma mémoire.

Kegaska, Québec – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’ai mangé deux CLIF Bar et j’ai rebroussé chemin. La noirceur n’était plus un problème, mais le vent commençait à se lever, et pas dans la bonne direction. J’avais mal aux côtes tellement la route était mauvaise, mais je ne pouvais pas abandonner maintenant. Les minutes s’écoulaient et l’atteinte de mon objectif n’était toujours pas certaine. Techniquement, je l’ai raté, d’ailleurs. Je suis arrivé à Pointe-Parent à 8 h 02.

Arrivée à Pointe-Parent, Québec – Photo par inconnue

Heureusement, mon hôtesse était encore là. Elle m’a donc transporté, victorieux, jusqu’à Mingan. J’ai eu à peine le temps de décharger ma bicyclette de son véhicule que j’avais trouvé mon prochain lift. Il s’agissait d’un cofondateur d’Équiterre. Il était en route pour La Malbaie et avait prévu quelques arrêts touristiques en chemin. Grâce à lui, j’ai donc pu visiter plusieurs endroits où je n’avais pas pu m’arrêter à vélo, par manque de temps. Il m’a déposé aux dunes de Tadoussac vers 22 h.

Bonus round

J’aurais pu continuer avec lui jusqu’à La Malbaie, mais il ne me manquait qu’un seul tronçon de la #138 afin de la compléter. En 2014, lors de mon tour du Québec, j’avais entre autres roulé de Québec à Baie-Saint-Paul et de Baie-Comeau à Tadoussac. Plus tôt lors de ma traversée du Canada, j’avais aussi roulé de Montréal à Québec sur cette route. Ayant maintenant complété la section située à l’est de Baie-Comeau, il ne me restait qu’à parcourir la section de Tadoussac à Baie-Saint-Paul pour en avoir terminé de cette route.

Dunes de Tadoussac, Québec – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le lendemain, c’est donc ce que j’ai fait, en me payant en plus le luxe de passer par la route alternative reliant La Malbaie à Baie-Saint-Paul, soit la #362. Au total, ce tracé représentait un dénivelé de 2 000 m, dont plusieurs côtes à fort pourcentage. Malgré la pluie et une température d’à peine plus de 10 °C, cette dernière journée s’est déroulée sans trop de problèmes. En fait, je n’en ai eu qu’un seul. Juste avant d’arriver à La Malbaie, j’ai subi une crevaison arrière en faisant l’ascension d’une côte à 11 % sur le bord d’une falaise, juste à l’entrée de Saint-Fidèle.

Route #362, Québec – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Faute d’un accotement digne de ce nom, et en raison de vents particulièrement forts sur cette portion de la route, j’ai continué à monter pour environ 500 m avec un pneu complètement à plat. C’était ma dernière journée, et l’état de mon pneu m’importait peu. Une fois au sommet, j’ai remplacé ma chambre à air et j’ai repris la route. Ma mère est venue me chercher en voiture à Baie-Saint-Paul ce soir-là. Je devais initialement rouler encore quelques jours, mais le montage de l’édition de septembre de L’Heuristique m’attendait à Montréal et j’ai dû sacrifier le reste de mon aventure. J’ai tout de même profité de ma présence dans la région de La Malbaie pour effectuer l’ascension de l’Acropole des Draveurs, dans le Parc national des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie.

Acropole des Draveurs, Québec – Photo par inconnu

En somme, je me suis retrouvé un peu à court de mon objectif de 12 000 km, avec seulement 11 983 km. J’ai toutefois eu la chance de me reprendre la saison suivante, soit cet été, avec 13 361 km.

[1] Site warmshowers.org
[2] Entrevue à Bonjour la Côte
[3] Site couchsurfing.com

Cet article a d’abord été publié en novembre 2017 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].


Un incident de parcours

  • 1 septembre 2017/
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Dans les dernières éditions de L’Heuristique, je publiais les quatre premières parties d’un texte concernant ce voyage le long de la route Translabradorienne, une route reliant Blanc-Sablon à Baie-Comeau, en passant par Labrador City.

La journée a commencé tard. Le temps de faire mes courses, il était passé midi lorsque j’ai quitté Labrador City. Mon vélo était plus chargé que jamais. J’avais réussi à suivre mon itinéraire jusqu’ici et je transportais donc, en plus de mes rations journalières, toutes mes réserves de sécurité, au cas où je prendrais du retard.

Les premières côtes menant jusqu’à la frontière québécoise ont été difficiles, mais j’ai rapidement pris mon rythme. J’ai atteint la mine Mont-Wright en milieu d’après-midi. C’est ici que commençait la section de gravier la plus étroite et sinueuse de la route #389.

Mont-Wright, Québec – Photo par Félix-Antoine Tremblay

On m’avait beaucoup parlé de ce tronçon de la route, mais elle ressemblait à tout sauf à ce que j’avais imaginé. La surface était  bien compactée et exempte de pierres lâches. Les côtes, bien que très pentues, étaient courtes et succédaient rapidement. La #389 prenait ici des airs de piste cyclable en montagne. J’y roulais confortablement à plus de 20 km/h en moyenne. Je n’avais pas éprouvé autant de plaisir depuis longtemps.

Malheureusement, le pavage recommence après le site de la mine Fire Lake. De plus, le soleil tombait. J’ai donc installé ma tente quelques kilomètres plus loin, au bord de la route.

Le lendemain matin, je roulais en direction du Relais Gabriel. La route était belle, mais je savais que je croiserais plus loin le massif des monts Groulx. Pour l’instant, je profitais cependant d’un peu de repos, jusqu’à l’ancienne ville de Gagnon, fermée en 1985 suite à la fin des activités de la mine Fire Lake.

Après les photos protocolaires de la ville abandonnée, notamment celle de l’ancien boulevard à chaussée divisée, j’ai repris la route vers les montagnes longeant le réservoir Mamicouagan. En cet après-midi du mois d’août, il faisait plus de 35 degrés et un soleil de plomb. Avec la fatigue accumulée, les longues montées me paraissaient interminables.

Ancienne ville de Gagnon, Québec – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Pédalant un kilomètre à la fois, j’ai finalement atteint le Relais Gabriel où m’attendait une généreuse portion de cipâte, de betteraves et de tarte aux bleuets. Après avoir discuté avec plusieurs clients du relais, deux écologistes m’ont invité à dormir dans leur chambre.

L’idée semblait bonne, mais après une si chaude journée, l’étage du relais baignait dans une chaleur accablante. Il m’a fallu jusqu’à 3 h du matin avant de trouver le sommeil.

À mon réveil, ma forme était tout sauf enviable. La situation n’était pas idéale sachant que la route vers Manic 5 n’est pas pavée et présente un dénivelé cumulatif de 1 700 m. Après avoir mangé mon déjeuner sans appétit, j’ai tout de même pris la route.

Route #389, près de Relais-Gabriel, Québec – Photo par Félix-Antoine Tremblay

La journée était à nouveau chaude et ensoleillée. Je roulais par automatisme, mais je n’avais pas d’énergie. Vers 13 h, je me suis forcé à manger une barre tendre. La faim ne se faisait toujours pas sentir. Pour ajouter à mon malaise, des orages se sont mis de la partie en fin d’après-midi.

Sans trop en être conscient, j’ai finalement atteint l’évacuateur de crues du réservoir Manicouagan. J’y étais enfin, au barrage Daniel Johnson. La joie de cette nouvelle m’a redonné un peu d’énergie. J’ai roulé jusqu’au Motel de l’Énergie et je me suis préparé à souper. Je me suis forcé à tout manger, mais je n’avais toujours pas d’appétit. Je me suis couché tôt, à bout de forces.

À deux heures du matin, je me suis réveillé en sueurs. Je ne me sentais pas bien, pas du tout. Je suis sorti de ma tente au pas de course. J’étais malade. Je vous épargne les détails, mais le reste de la nuit a été dépourvu de sommeil.

Au lever du jour, je suis allé au restaurant où j’ai passé la matinée, faisant l’aller-retour jusqu’aux toilettes. Je suis allé faire la visite touristique à la centrale hydroélectrique avec comme seule motivation l’envie de ne pas gaspiller entièrement ma matinée.

Barrage Daniel-Johnson, Québec – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À mon retour au restaurant, les ambulanciers de Manic 5 m’ont posé des questions sur mon état, mais n’étaient pas en mesure de m’aider. À 15 h, j’ai décidé de tenter de me rendre au Relais Manic Outardes, situé à plus de cent kilomètres de là.

Trente kilomètres plus loin, je ne pouvais plus avancer. Je me suis mis à faire du « pouce » dans les deux directions, en roulant difficilement. La destination m’importait peu, tant que c’était ailleurs qu’ici. Une famille d’autochtones m’a ramené à Manic 5. Je suis allé voir les ambulanciers, mais leur seule offre était de me transporter jusqu’à Baie-Comeau, moyennant des frais imposants.

J’étais donc coincé, seul, dans le milieu de nulle part. Je me suis installé devant la station-service à la recherche de transport vers Baie-Comeau. Après plusieurs essais infructueux, un jeune homme m’a offert son assistance. Il était désormais 23 h.

Après quelques minutes, j’ai compris que mon chauffeur était drogué. Cela a été confirmé lorsqu’il m’a offert une dose. Quoi qu’il en soit, je n’avais pas d’autre option et, une chose était certaine, nous finirions à l’hôpital d’une manière ou d’une autre.

Je suis finalement arrivé à l’hôpital de Baie-Comeau sans heurts, vers 1 h. C’est ici que mon voyage prenait fin, d’une bien triste manière…

La suite dans l’édition de novembre,

Cet article a d’abord été publié en septembre 2017 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].


Une machine bien rodée

  • 1 juillet 2017/
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Dans les dernières éditions de L’Heuristique, je publiais les trois premières parties d’un texte concernant ce voyage le long de la route Translabradorienne, une route reliant Blanc-Sablon à Baie-Comeau, en passant par Labrador City.

Le lendemain de mon arrivée à Happy Valley-Goose Bay, je profitais enfin d’une journée de congé, la première que je m’accordais depuis mon départ de St. John’s, deux semaines auparavant. Mon vélo était en attente de réparation chez Minipi Outfitters en raison d’un bris au niveau du pédalier. J’ai reçu l’appel fatidique vers midi. Le boîtier de pédalier dont j’avais besoin n’était pas en réserve. Cela dit, la pièce se trouvait sur un des vélos en démonstration.

Robin, chez qui je passais la journée, m’a amené au magasin pendant sa pause pour y récupérer ma monture. Le verdict : deux heures de travail plus les pièces, soit plus de 150 $. Cela était toutefois le moindre de mes soucis. Le prochain magasin de vélo se trouvant à plus de 1 000 km de là, j’étais avant tout heureux de pouvoir reprendre la route!

En après-midi, je suis passé à l’épicerie du coin pour y refaire mes stocks de nourriture fraîche. Je m’étais fait livrer des repas déshydratés par la poste chez Robin, comme je l’avais fait à l’hôtel Alexis de Port Hope Simpson. La prochaine livraison était cependant la plus insolite, puisqu’elle arrivait directement au bureau de poste. C’était la première fois que j’utilisais le service de « poste restante » pour un envoi. Je devais passer prendre le colis le matin du 1er août, ce qui me laissait quatre jours pour parcourir les 530 km me séparant de Labrador City.

À mon retour chez Robin, sa mère nous préparait à souper : du phoque et de l’ours, chassés par son père. Après ce succulent repas, nous avons écouté un film avant de nous faire nos adieux. Toute la famille devait partir travailler avant que je me lève le matin suivant. Après avoir bu une carafe entière de café, j’ai quitté Happy Valley-Goose Bay sous la pluie.

Carte du trajet parcouru – Image par Félix-Antoine Tremblay
Churchill Falls

Je me suis levé tard et j’ai pris la route vers midi. J’ai franchi les premiers kilomètres sans difficulté. Je roulais à plus de 20 km/h et je comptais donc atteindre mon objectif journalier vers 19 h. La température n’aidait toutefois en rien ma progression. La pluie était par moment si intense qu’elle causait des accumulations d’eau sur la chaussée. Au sommet de Pope’s Hill, une montée de 200 m d’altitude avec des pointes à 16 % de pente, j’ai pu profiter d’une accalmie. Malgré un brouillard dense, la pluie avait finalement cessé.

Quelques dizaines de kilomètres plus loin, le soleil faisait quelques percées. J’étais en pleine forme et je roulais maintenant à plus de 30 km/h. Malgré un départ tardif, j’ai atteint ma destination en début de soirée. J’ai pu installer ma tente nouvellement réparée au sec, sous les lignes électriques du projet Muskrat Falls. Les moustiques faisaient sentir leur présence, mais j’étais somme toute très satisfait de cette première journée, laquelle devait être la plus difficile jusqu’à Labrador City.

Le lendemain matin, je mettais le cap sur Chuchill Falls, à 150 km. La route fraîchement pavée me permettait de conserver une excellente vitesse moyenne, mais je devais combattre un vent de face plutôt désagréable. Au milieu d’une averse, j’ai vu apparaître une silhouette que je n’avais pas vue depuis des semaines : un cycliste! En plein cœur du Labrador, j’ai croisé Giorgio Lucarelli, un aventurier italien qui avait parcouru les routes Dempster et Dalton quelques années auparavant, deux des routes que j’ai décrites dans mon article Les grandes routes du Nord américain, à vélo[1].

Après avoir échangé plusieurs minutes sur la route à venir pour chacun de nous, puisque nous faisions le trajet en sens inverse, nous nous sommes souhaité bon succès et avons repris la route. Giorgio Lucarelli est le seul cycliste que j’ai croisé sur la route Translabradorienne. Tout au plus, quelques dizaines de cyclistes l’ont parcourue d’un bout à l’autre depuis son inauguration en 2009.

Quelques heures plus tard, alors que je profitais à nouveau du soleil passager, j’ai atteint Churchill Falls. Des habitant(e)s du coin m’ont suggéré de camper près du Donald Gordon Centre, lequel abrite tous les services de la ville, dont un centre sportif. Après avoir monté ma tente, j’ai pu profiter des installations pour prendre une douche et relaxer dans le sauna municipal, le tout gratuitement. Une autre belle journée! Pour ajouter à ma bonne humeur, après des semaines de recherche, j’avais finalement réussi à trouver de l’hébergement à Labrador City : chez un diplômé de l’ÉTS, Jean-Michel, et sa conjointe, Jessica.

Labrador City

Tôt le lendemain matin, après un bon repas au restaurant du centre municipal, j’ai pris la route pour Labrador City. Le ciel était toujours grisâtre, mais il ne pleuvait pas pour le moment. Mon premier arrêt de la journée se faisait aux célèbres chutes Churchill, transformées dramatiquement par la construction de la centrale hydroélectrique Churchill Falls.

Chutes Churchill, Labrador – Photo par Félix-Antoine Tremblay

La chute se trouve au bout d’un sentier d’un kilomètre situé près du pont traversant le fleuve Churchill. Le point de vue « officiel » est très mal positionné, mais les vestiges du sentier original menant au bord des falaises du canyon Bowdoin sont encore visibles, et le détour en vaut la chandelle (à vos risques et périls)[2]. Après quelques minutes à apprécier une vue à couper le souffle, j’ai rebroussé chemin et repris ma route.

Canyon Bowdoin – Photo par Kerron L, Flickr

Vers 17 h, alors que je comptais les derniers kilomètres, j’ai remarqué un bruit inquiétant au niveau d’une de mes pédales. Après vérifications, elle semblait pourtant en bon état, mais je voulais à tout prix éviter un bris tel celui que j’avais subi quelques semaines auparavant. Pour cela, je devrais toutefois attendre la prochaine ville. Une heure plus tard, j’ai trouvé un endroit dégagé où dormir et me changer les idées.

Route #500 près de Churchill Falls, Labrador – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Après une trop courte nuit de sommeil, à quelques mètres de la route, je suis remonté en selle. Il faisait finalement soleil, mais le vent s’était levé. De plus, le relief était plutôt accidenté. M’étant levé tôt, je comptais tout de même arriver à Labrador City avant l’heure du souper. Après quelques heures d’effort soutenu, j’y étais finalement, et ma pédale avait tenu le coup. Je suis allé faire l’épicerie, puis je me suis dirigé vers la résidence de mes hôt(ess)es.

Ceux-ci étaient absents au moment de mon arrivée et j’en ai profité pour prendre un bain, un rituel que je conserve généralement pour la fin de mes voyages. Lorsque Jean-Michel et Jessica sont arrivés, j’ai eu droit à un barbecue, puis nous sommes allés marcher en ville. Il était particulièrement agréable de pouvoir enfin passer du temps à l’extérieur sans risquer d’être mordu ou piqué par des hordes d’insectes.

J’ai profité de cette balade pour discuter du bris imminent d’une de mes pédales. Comme je le pensais, il n’y avait pas de magasin de vélo en ville. J’ai donc choisi de passer le lendemain chez Walmart « louer » des pédales bon marché au cas où les miennes rendraient l’âme. J’ai aussi commandé de bonnes pédales que j’ai fait livrer à Sept-Îles, afin d’en effectuer le remplacement définitif quelques jours plus tard.

J’y suis allé à mon réveil. J’ai profité de ma visite au centre commercial pour remplacer ma caméra brisée et pour récupérer mon ravitaillement postal, lequel m’attendait comme prévu, à mon grand soulagement. Trois jours me séparaient maintenant de Manic-Cinq, et seul le Relais Gabriel, à 270 km, se trouvait entre les deux. La route #389 est étroite, très sinueuse, et parcourue par de nombreux camions. De plus, elle n’est pas pavée sur une distance de 155 km et ses pentes sont très abruptes : jusqu’à 18 %. Le témoignage de Giorgio Lucarelli, trois jours auparavant, n’avait pas aidé à me rassurer. Je m’attendais au pire.

[1] Les grandes routes du Nord américain, à vélo, L’Heuristique
[2] Vestiges du sentier menant à la falaise : imgur.com/a/MrFCW

Cet article a d’abord été publié en juillet 2017 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].


Un peu de lumière au bout du tunnel

  • 1 mars 2017/
  • Publié par : Félix-Antoine Tremblay/
  • 0 commentaires /
  • Under : À la découverte du nord, Collaborations, Récits de vélo

Dans les dernières éditions de L’Heuristique, je publiais les deux premières parties d’un texte concernant mon voyage le long de la route Translabradorienne[1], une route reliant Blanc-Sablon à Baie-Comeau, en passant par Labrador City.

Après une bonne nuit de sommeil, j’ai été réveillé par deux hommes venus pêcher dans la rivière se trouvant près de l’aire de repos où j’étais installé. J’ai profité de leur présence pour refaire mes réserves d’eau potable. En effet, la générosité des passant(e)s semble augmenter proportionnellement à la distance séparant un(e) cycliste de la ville la plus proche.

Je ne compte plus les inconnu(e)s s’arrêtant sur la route afin de m’offrir de l’eau, de la nourriture, des encouragements, un endroit où dormir, ou de me transporter vers ma destination (la seule offre que je refuse systématiquement). Bien que je sois préparé à être entièrement autonome, une partie de moi compte toujours sur ces dons imprévus dans les moments difficiles.

Carte du trajet parcouru – Image par Félix-Antoine Tremblay

En cette deuxième journée, ma patience avait déjà atteint ses limites, à un tel point que je me suis surpris à être intérieurement en colère de me faire systématiquement demander si tout allait bien. Ce n’était pas le cas entre mes deux oreilles. J’étais à un des points les plus isolés du pays, et il y avait tout de même trop de gens. Quelques heures plus tard, un groupe de chasseurs s’est arrêté pour m’offrir un repas et une bière. J’ai discuté une vingtaine de minutes avec eux. Cet intermède, permis par de forts vents chassant les insectes ainsi que par l’absence de pluie, m’a changé les idées.

Mon état d’esprit après deux jours – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’approchais désormais le point de non-retour : le milieu de la route séparant Happy Valley-Goose Bay et Port Hope Simpson. La pluie avait cessé et l’état de la route s’améliorait. La journée avait passé plutôt rapidement et j’ai pu poser ma tente au sec. Mon campement était à moins d’une dizaine de mètres de la route, mais le trafic était si faible que cela ne représentait pas un problème. J’étais au sommet d’une crête et protégé du vent par la forêt.

Cette fin de journée aurait été parfaite, si ce n’avait été d’un des curseurs de la fermeture éclair de ma tente qui s’est brisé à ce moment. Je devais désormais ouvrir la fermeture éclair entièrement pour y entrer ou en sortir, ce qui signifiait que plus d’insectes réussissaient à se faufiler à l’intérieur chaque fois. Pour l’instant, elle était cependant fermée et cela me suffisait. Je pouvais retrouver mon livre et le confort de mon sac de couchage.

Paysage typique sur la route Translabradorienne – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Point de non-retour

Le matin du troisième jour, j’avais retrouvé mon aplomb. Le ciel était toujours aussi mauvais, mais plutôt que de m’éloigner de la civilisation, aujourd’hui, je m’en approchais. En fin de matinée, un couple du Texas s’est arrêté une centaine de mètres devant moi. En m’approchant d’eux, j’ai été surpris de voir le conducteur hors de son véhicule avec un appareil-photo en main. Celui-ci m’a fait signe de m’arrêter, avant de m’expliquer qu’il était aussi un cycliste et qu’il me saluait pour ma persévérance. Il m’a ensuite offert de la nourriture, que j’ai volontiers acceptée.

Je lui ai demandé de m’envoyer ses photos de moi par courriel, de même que ses photos de la route Translabradorienne, puisque mon appareil-photo était brisé. Il a accepté avec plaisir, mais m’a annoncé quelques jours plus tard qu’il avait perdu tous ses clichés en raison d’un problème de carte mémoire. Décidément, cette route ne voulait pas être photographiée…

Le temps passait de plus en plus vite, et j’ai rapidement atteint ma destination pour cette troisième journée. Après quelques minutes à chercher un endroit où m’installer pour la nuit, j’ai eu le plaisir de découvrir une carrière désaffectée. J’y ai posé ma tente en plein centre et j’ai profité de l’absence d’eau et de végétation pour passer du temps dehors sans être ennuyé par les mouches noires. Je pouvais enfin retirer mon habit moustiquaire et manger à l’extérieur. Je me suis même permis de lire dehors, jusqu’à ce que la fatigue et l’obscurité me forcent à me coucher.

Campement de la troisième nuit – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Plusieurs Labradorien(ne)s m’avaient mentionné que les équipes de pavage étaient à environ 80 kilomètres de la jonction avec la route #500. Quelques heures après avoir quitté ma tente, j’ai enfin atteint la zone de construction. Malgré quatre jours sans voir le soleil, mon moral était à son meilleur. J’ai cependant rapidement découvert que les centaines de kilomètres de route de gravier avaient gravement endommagé mon boîtier de pédalier, lequel présentait maintenant un jeu de plus d’un millimètre.

Début du pavage – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Retour à la civilisation

J’ai accéléré le pas afin d’atteindre Happy Valley-Goose Bay avant 17 h, l’heure de fermeture de la plupart des commerces. Malgré le plaisir d’avoir atteint ma destination, je devais absolument faire réparer ma tente et mon vélo avant de quitter la ville. Au bureau d’information de la ville, j’ai été surpris d’apprendre qu’on y trouvait un magasin spécialisé en réparation de tentes. On m’a toutefois informé qu’il n’y avait pas de boutique de vélos, mais on m’a dirigé vers deux magasins qui pourraient peut-être m’aider.

Retour à la civilisation – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Le premier était à proximité, mais ne réparait que des motos. Il était maintenant 16 h, et je me trouvais à une dizaine de kilomètres du second. En chemin, je me suis arrêté chez Terry’s Tents pour faire remplacer les curseurs de ma tente. Leur couturier spécialisé en tentes était absent, mais après avoir insisté, on a tout de même accepté de m’aider. Pendant que j’attendais, Robin, mon contact sur CouchSurfing, est venue me retrouver. Je lui ai expliqué ma situation puis elle m’a offert son aide.

Mon vélo n’entrait pas dans sa voiture, mais je lui ai laissé mes bagages. Dès que ma tente fut réparée, j’ai enfourché mon vélo en direction de l’autre bout de la ville. Je filais à plus de 30 km/h, soit presque trois fois plus rapidement que ma moyenne depuis Blanc-Sablon. Lorsque je suis arrivé, à 16 h 55, un employé de Minipi Outfitters en était à ranger des vélos à l’intérieur pour la nuit. C’était donc bel et bien un magasin de vélos! Le mécanicien m’a expliqué qu’il ne pouvait pas s’occuper de moi tout de suite, mais que ma monture serait sa priorité le lendemain matin. Il n’avait pas de boîtier de pédalier compatible en inventaire, mais il vérifierait s’il pouvait en trouver un sur ses vélos en démonstration.

J’avais au moins pu réparer ma tente, mais j’étais plutôt inquiet pour mon vélo. Le prochain magasin se trouvait à plus de 1 000 kilomètres de distance, à Baie-Comeau. Robin m’a offert de passer une journée de plus chez sa famille, le temps d’avoir une réponse du mécanicien, ce que j’ai accepté avec plaisir. Elle m’a ensuite transporté jusque chez elle, où sa mère m’avait préparé un succulent repas, accompagné d’une bonne bière.

Ce bris mécanique remettait en question l’achèvement de mon aventure, mais le plus difficile était derrière moi. On m’avait beaucoup parlé de la fameuse route #389, au Québec, mais j’étais très confiant. Peut-être un peu trop.

La suite dans l’édition de mai,

[1] Le début d’une grande aventure et À la découverte du Labrador, L’Heuristique

Cet article a d’abord été publié en mars 2017 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].


À la découverte du Labrador

  • 1 janvier 2017/
  • Publié par : Félix-Antoine Tremblay/
  • 0 commentaires /
  • Under : À la découverte du nord, Collaborations, Récits de vélo

Dans la dernière édition de L’Heuristique, je publiais la première partie d’un texte concernant mon voyage le long de la route Translabradorienne[1], une route reliant Blanc-Sablon à Baie-Comeau, en passant par Labrador City.

Après seulement deux jours sur la route Translabradorienne, je commençais à comprendre que la difficulté de cette route ne reposait pas sur sa longueur, ni sur le fait qu’elle n’est que partiellement pavée, mais bien sur son isolement. En effet, en quittant Port Hope Simpson, un village de quelques dizaines d’habitant(e)s, je savais que je ne verrais presque personne pendant quatre jours. En période estivale, il passe seulement une cinquantainede véhicules par jour sur cette route.

Heureusement, il ne s’agissait pas de la première fois où je faisais un voyage du genre. En 2014, avant d’entreprendre ma traversée du Québec, j’ai pu profiter d’un congé de quatre jours pendant mon stage pour redécouvrir la ZEC Batiscan Neilson. C’est à cet endroit que j’ai vécu mes premières expériences de vélo-camping, il y a plus d’une décennie. Armé d’une carte achetée à cette époque ainsi que d’une boussole, j’ai effectué l’aller-retour entre le poste d’accueil Perthuis et le lac Batiscan : un lac long et étroit bordé de falaises atteignant plus de 100 mètres par endroit.

Lac Batiscan – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Lors de cette première aventure, mon principal défi avait été de m’orienter correctement, en pleine forêt, alors que plusieurs des routes que je souhaitais emprunter n’existaient que dans ma mémoire, ma carte étant imprécise et désormais désuète. Au Labrador, cela ne serait pas un problème. Le trajet était assez simple : tourner à droite au kilomètre 606 vers Happy Valley-Goose Bay, puis revenir sur mes pas et suivre la route principale jusqu’à Baie-Comeau. Quoi qu’il en soit, je transportais cette fois un GPS et un panneau solaire pour le recharger.

Carte du trajet parcouru – Image par Félix-Antoine Tremblay

Cette fois-ci, je ne pouvais cependant pas profiter d’une température clémente et la saison des mouches noires battait son plein. En effet, le soir de mon arrivée à Port Hope Simpson, j’ai à peine eu le temps de consulter les prévisions météorologiques des prochains jours avant que des orages causent la perte de la réception satellite de l’hôtel. On annonçait de la pluie pour au moins une semaine.

Faute de télévision et d’Internet., je comptais pour le moins profiter d’un bon bain chaud, un plaisir que je m’accorde rarement. Malheureusement pour moi, la baignoire n’avait pas de bouchon. Pire, la température de l’eau de la douche variait de façon si forte et subite que cette douche était plus douloureuse que salvatrice. J’ai dû me contenter de lire un des livres que je transportais, allongé dans mon lit simple, en écoutant le tumulte de mes voisines et voisins. Plus tard en soirée, j’ai tout de même pu profiter du restaurant de l’hôtel pour manger un dernier repas sans avoir à me rationner : un hamburger, un club sandwich et deux pizzas, le tout avec une généreuse portion de frites. Ce repas riche en calories me propulserait certainement pour plusieurs jours.

Le grand départ

Après avoir dormi quelques heures, tiré profit du petit déjeuner continental fourni avec la chambre, et fait des réserves de fruits frais ainsi que d’eau potable, j’ai enfilé pour la première fois mon habit de moustiquaire. Pour mes deux premières journées au Labrador, je m’étais contenté de mon moustiquaire facial, mais les dizaines de morsures et de piqûres que portaient mes bras et mon cou m’ont confirmé que cela n’était pas suffisant.

Après avoir traversé le pont de la rivière Alexis, j’ai été agréablement surpris par la bonne qualité de la route. Cela aurait pu compenser le paysage devenant de plus en plus monotone, alors qu’on s’éloigne de la côte du Labrador. La route ayant été construite pour des raisons exclusivement utilitaires, elle évite autant que possible les lacs, les rivières, les montagnes, etc. En somme, tous les points d’intérêt. Ces bonnes conditions furent toutefois de courte durée, puisqu’après la jonction vers Charlottetown, la route devient plus étroite et est couverte de petites pierres lâches.

Vers midi, la pluie s’est mise de la partie, ce qui représentait un défi de taille dans les circonstances. En effet, je ne pouvais pas mettre mes vêtements de pluie sans retirer mon habit de moustiquaire, un exercice que j’allais devoir répéter à plusieurs reprises en raison de la température changeante. Dès lors, j’étais obsédé par une idée : abandonner. J’étais à ce point découragé que j’ai pris quelques instants de repos pour me filmer alors que j’étais couvert de bestioles (coeurs sensibles, s’abstenir : youtu.be/E9ZBkC1eJsE).

Paysage typique sur la route Translabradorienne – Photo par Félix-Antoine Tremblay

À bout de nerfs, après une dizaine d’heures en selle à compter chaque kilomètre, je voyais enfin un peu de lumière au bout du tunnel : un panneau de signalisation en direction de Cartwright. Dans quelques dizaines de minutes, je pourrais enfin me réfugier dans ma tente et lire un livre. Bien que je ne sois pas un grand lecteur, ce petit plaisir était à ce moment le plus grand des cadeaux : un instant de répit, où mon esprit pourrait se retrouver à des milliers de kilomètres de cet enfer.

Route #510, à la jonction avec la route #516 – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’aurais pu poser ma tente n’importe où, à n’importe quel moment de la journée, mais je m’étais fixé un objectif strict de rouler au moins 100 kilomètres par jour, afin d’atteindre mon point de ravitaillement en au plus quatre jours. Pour cette première journée, je devais au moins atteindre le kilomètre 319, à la jonction de la route #516. Une fois arrivé, j’ai été surpris de voir un panneau annonçant ma nouvelle destination : une halte routière, à deux kilomètres de là. Cette halte promettait un espace sec et dégagé, me permettant d’installer confortablement ma tente.

Je m’étais préparé afin de ne dépendre de rien tout au long de la route, mais une bonne nouvelle est toujours bienvenue. Avant mon départ, il m’avait été impossible de trouver quelque information que ce soit sur les « services » se trouvant le long de cette route. Je m’étais donc donné pour mandat de tous les prendre en note, afin de faciliter la planification des prochains cyclistes souhaitant conquérir la route Translabradorienne. J’ai intégré mes notes aux pages Wikipédia des routes #389, #500 et #510[2].

Tout n’était cependant pas gagné, cette fameuse halte routière n’était en fait qu’un stationnement en gravier équipé d’une poubelle et d’une table à pique-nique. Les abords de l’aire de repos avaient des airs de toilettes à ciel ouvert, et la poubelle n’avait vraisemblablement pas été vidée depuis des lustres, mais je n’avais d’autre choix que de m’en contenter. Après avoir trouvé un endroit où le sol était suffisamment lâche et propre pour y planter ma tente, j’ai entrepris de préparer mon repas. La forte pluie avait pour avantage de réduire la quantité d’insectes m’entourant.

À mon grand désarroi, une fois le repas terminé, j’ai découvert que ceux-ci s’étaient réfugiés sous le double toit de ma tente. Lorsque j’y suis entré, bien que j’aie porté une attention particulière à le faire rapidement, plus d’une centaine d’entre eux avaient réussi à se faufiler à l’intérieur. Il m’a fallu plus de 10 minutes pour les tuer (presque) tous. Quoi qu’il en soit, cette première de quatre journées était terminée. Avec le sentiment du devoir accompli, je pouvais enfin retrouver le confort relatif de ma tente, protégé du froid, de la pluie et des bestioles.

Cimetière d’insectes nuisibles – Photo par Félix-Antoine Tremblay

J’étais désormais à la porte du plateau Eagle, le plus difficile était derrière moi, mais je l’ignorais pour le moment. La suite dans l’édition de mars, si les décisions de censurer et de dissoudre L’Heuristique sont renversées par l’AÉÉTS[3].

[1] Le début d’une grande aventure, L’Heuristique
[2] Répertoire des services en fonction des repères kilométriques : pastebin.com/YVRrU8p4 
[3] L’Association étudiante de l’ÉTS a récemment entrepris des démarches visant à fermer L’Heuristique : bit.ly/2kxtp3R

Cet article a d’abord été publié en janvier 2017 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].


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