Dans les dernières éditions de L’Heuristique, je publiais les trois premières parties d’un texte concernant ce voyage le long de la route Translabradorienne, une route reliant Blanc-Sablon à Baie-Comeau, en passant par Labrador City.

Le lendemain de mon arrivée à Happy Valley-Goose Bay, je profitais enfin d’une journée de congé, la première que je m’accordais depuis mon départ de St. John’s, deux semaines auparavant. Mon vélo était en attente de réparation chez Minipi Outfitters en raison d’un bris au niveau du pédalier. J’ai reçu l’appel fatidique vers midi. Le boîtier de pédalier dont j’avais besoin n’était pas en réserve. Cela dit, la pièce se trouvait sur un des vélos en démonstration.

Robin, chez qui je passais la journée, m’a amené au magasin pendant sa pause pour y récupérer ma monture. Le verdict : deux heures de travail plus les pièces, soit plus de 150 $. Cela était toutefois le moindre de mes soucis. Le prochain magasin de vélo se trouvant à plus de 1 000 km de là, j’étais avant tout heureux de pouvoir reprendre la route!

En après-midi, je suis passé à l’épicerie du coin pour y refaire mes stocks de nourriture fraîche. Je m’étais fait livrer des repas déshydratés par la poste chez Robin, comme je l’avais fait à l’hôtel Alexis de Port Hope Simpson. La prochaine livraison était cependant la plus insolite, puisqu’elle arrivait directement au bureau de poste. C’était la première fois que j’utilisais le service de « poste restante » pour un envoi. Je devais passer prendre le colis le matin du 1er août, ce qui me laissait quatre jours pour parcourir les 530 km me séparant de Labrador City.

À mon retour chez Robin, sa mère nous préparait à souper : du phoque et de l’ours, chassés par son père. Après ce succulent repas, nous avons écouté un film avant de nous faire nos adieux. Toute la famille devait partir travailler avant que je me lève le matin suivant. Après avoir bu une carafe entière de café, j’ai quitté Happy Valley-Goose Bay sous la pluie.

Carte du trajet parcouru – Image par Félix-Antoine Tremblay
Churchill Falls

Je me suis levé tard et j’ai pris la route vers midi. J’ai franchi les premiers kilomètres sans difficulté. Je roulais à plus de 20 km/h et je comptais donc atteindre mon objectif journalier vers 19 h. La température n’aidait toutefois en rien ma progression. La pluie était par moment si intense qu’elle causait des accumulations d’eau sur la chaussée. Au sommet de Pope’s Hill, une montée de 200 m d’altitude avec des pointes à 16 % de pente, j’ai pu profiter d’une accalmie. Malgré un brouillard dense, la pluie avait finalement cessé.

Quelques dizaines de kilomètres plus loin, le soleil faisait quelques percées. J’étais en pleine forme et je roulais maintenant à plus de 30 km/h. Malgré un départ tardif, j’ai atteint ma destination en début de soirée. J’ai pu installer ma tente nouvellement réparée au sec, sous les lignes électriques du projet Muskrat Falls. Les moustiques faisaient sentir leur présence, mais j’étais somme toute très satisfait de cette première journée, laquelle devait être la plus difficile jusqu’à Labrador City.

Le lendemain matin, je mettais le cap sur Chuchill Falls, à 150 km. La route fraîchement pavée me permettait de conserver une excellente vitesse moyenne, mais je devais combattre un vent de face plutôt désagréable. Au milieu d’une averse, j’ai vu apparaître une silhouette que je n’avais pas vue depuis des semaines : un cycliste! En plein cœur du Labrador, j’ai croisé Giorgio Lucarelli, un aventurier italien qui avait parcouru les routes Dempster et Dalton quelques années auparavant, deux des routes que j’ai décrites dans mon article Les grandes routes du Nord américain, à vélo[1].

Après avoir échangé plusieurs minutes sur la route à venir pour chacun de nous, puisque nous faisions le trajet en sens inverse, nous nous sommes souhaité bon succès et avons repris la route. Giorgio Lucarelli est le seul cycliste que j’ai croisé sur la route Translabradorienne. Tout au plus, quelques dizaines de cyclistes l’ont parcourue d’un bout à l’autre depuis son inauguration en 2009.

Quelques heures plus tard, alors que je profitais à nouveau du soleil passager, j’ai atteint Churchill Falls. Des habitant(e)s du coin m’ont suggéré de camper près du Donald Gordon Centre, lequel abrite tous les services de la ville, dont un centre sportif. Après avoir monté ma tente, j’ai pu profiter des installations pour prendre une douche et relaxer dans le sauna municipal, le tout gratuitement. Une autre belle journée! Pour ajouter à ma bonne humeur, après des semaines de recherche, j’avais finalement réussi à trouver de l’hébergement à Labrador City : chez un diplômé de l’ÉTS, Jean-Michel, et sa conjointe, Jessica.

Labrador City

Tôt le lendemain matin, après un bon repas au restaurant du centre municipal, j’ai pris la route pour Labrador City. Le ciel était toujours grisâtre, mais il ne pleuvait pas pour le moment. Mon premier arrêt de la journée se faisait aux célèbres chutes Churchill, transformées dramatiquement par la construction de la centrale hydroélectrique Churchill Falls.

Chutes Churchill, Labrador – Photo par Félix-Antoine Tremblay

La chute se trouve au bout d’un sentier d’un kilomètre situé près du pont traversant le fleuve Churchill. Le point de vue « officiel » est très mal positionné, mais les vestiges du sentier original menant au bord des falaises du canyon Bowdoin sont encore visibles, et le détour en vaut la chandelle (à vos risques et périls)[2]. Après quelques minutes à apprécier une vue à couper le souffle, j’ai rebroussé chemin et repris ma route.

Canyon Bowdoin – Photo par Kerron L, Flickr

Vers 17 h, alors que je comptais les derniers kilomètres, j’ai remarqué un bruit inquiétant au niveau d’une de mes pédales. Après vérifications, elle semblait pourtant en bon état, mais je voulais à tout prix éviter un bris tel celui que j’avais subi quelques semaines auparavant. Pour cela, je devrais toutefois attendre la prochaine ville. Une heure plus tard, j’ai trouvé un endroit dégagé où dormir et me changer les idées.

Route #500 près de Churchill Falls, Labrador – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Après une trop courte nuit de sommeil, à quelques mètres de la route, je suis remonté en selle. Il faisait finalement soleil, mais le vent s’était levé. De plus, le relief était plutôt accidenté. M’étant levé tôt, je comptais tout de même arriver à Labrador City avant l’heure du souper. Après quelques heures d’effort soutenu, j’y étais finalement, et ma pédale avait tenu le coup. Je suis allé faire l’épicerie, puis je me suis dirigé vers la résidence de mes hôt(ess)es.

Ceux-ci étaient absents au moment de mon arrivée et j’en ai profité pour prendre un bain, un rituel que je conserve généralement pour la fin de mes voyages. Lorsque Jean-Michel et Jessica sont arrivés, j’ai eu droit à un barbecue, puis nous sommes allés marcher en ville. Il était particulièrement agréable de pouvoir enfin passer du temps à l’extérieur sans risquer d’être mordu ou piqué par des hordes d’insectes.

J’ai profité de cette balade pour discuter du bris imminent d’une de mes pédales. Comme je le pensais, il n’y avait pas de magasin de vélo en ville. J’ai donc choisi de passer le lendemain chez Walmart « louer » des pédales bon marché au cas où les miennes rendraient l’âme. J’ai aussi commandé de bonnes pédales que j’ai fait livrer à Sept-Îles, afin d’en effectuer le remplacement définitif quelques jours plus tard.

J’y suis allé à mon réveil. J’ai profité de ma visite au centre commercial pour remplacer ma caméra brisée et pour récupérer mon ravitaillement postal, lequel m’attendait comme prévu, à mon grand soulagement. Trois jours me séparaient maintenant de Manic-Cinq, et seul le Relais Gabriel, à 270 km, se trouvait entre les deux. La route #389 est étroite, très sinueuse, et parcourue par de nombreux camions. De plus, elle n’est pas pavée sur une distance de 155 km et ses pentes sont très abruptes : jusqu’à 18 %. Le témoignage de Giorgio Lucarelli, trois jours auparavant, n’avait pas aidé à me rassurer. Je m’attendais au pire.

[1] Les grandes routes du Nord américain, à vélo, L’Heuristique
[2] Vestiges du sentier menant à la falaise : imgur.com/a/MrFCW

Cet article a d’abord été publié en juillet 2017 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].