On dit généralement que ce n’est pas la destination qui compte, mais le voyage. Quoi de mieux que de voyager à vélo? Effectuer de longues distances à bicyclette est rarement palpitant pendant l’acte, il en va de même pour le fait de dormir dans des endroits inconfortables peuplés de milliers d’insectes qui n’attendent que la chance de vous dévorer. Il s’agit plutôt du genre d’expérience que l’on apprécie après-coup, une fois les bobos guéris. Voyager seul a pour avantage de favoriser les rencontres, lesquelles enrichissent grandement l’expérience. De plus, ce genre d’activité aide à mieux se connaitre, en plus de constituer un réel défit contre soi-même, puisque personne n’est là pour juger ni pour encourager.

Cayoosh Pass, un réel défit contre soi-même – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Le premier essai

Après près d’une décennie à méditer sur ce voyage, ce sont deux amis qui auront finalement été l’élément déclencheur. Alors que ceux-ci, plus âgés, traversaient le Canada de Vancouver à Montréal, il aurait été difficile de trouver une raison ne pas les accompagner de Vancouver à Calgary en suivant un trajet passant par la Sea to Sky Highway (#99), la Southern Yellowhead Highway (#5) ainsi que la Icefields Parkway (#93). Pour un premier voyage, il s’agissait d’un énorme défi, notamment en raison d’un col hors catégorie : le col Cayoosh, une ascension de 1 075 mètres en 13 kilomètres. Les paysages magnifiques aidant, l’ascension s’est faite sans heurt, mais ce n’a pas été le cas de la descente. Quelques minutes derrière, c’est sans le moindre témoin que l’accident est arrivé : une « chute à haute vitesse », selon le rapport de police, et un atterrissage en plein visage. À deux cent kilomètres de l’hôpital le plus proche, l’évacuation a dû se faire par hélicoptère. Le verdict : quelques jours de coma, un traumatisme craniocérébral sévère et un doigt cassé. Alors que les meilleurs pronostiques pointaient vers de graves dommages au cerveau, voire un état végétatif, en deux mois, le tout était guéri, la seule séquelle étant une fatigue fortement accrue : « un miracle » selon les mots de la neuropsychologue en charge du cas.

Duffey lake – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Un retour en force

Cinquante-deux semaines après l’incident et après avoir roulé seulement 100 kilomètres à vélo depuis, le même périple était à recommencer, seul, cette fois-ci. C’est avec un peu plus d’émotions que les même paysages ont défilés pendant les trois premiers jours, mais une fois à Lillooet, c’était fait, la #99avait été vaincue. Une fois à Kamloops, en raison d’un bris d’équipement et d’une forme physique peu enviable, il s’annonçait malheureusement peu probable que la traversée des Rocheuses par l’itinéraire prévu se fasse avec succès. C’est donc par la Trans-Canada Highway (#1) que le périple serait achevé, une route plus montagneuse, mais moins longue que la combinaison de la #5 et de la #93. Finalement, après cinquante-quatre semaines, le voyage était enfin complété, laissant derrière un accident qui aurait dû être mortel ainsi qu’un des deux seuls cols hors catégorie au Canada, le col Cayoosh, surclassé à deux reprises.

Fountain Valley, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Encore une fois

Après avoir réalisé ce qui semblait dix ans auparavant un défi colossal, il en fallait plus, car malgré tout, ça avait été trop « facile ». Cette fois-ci, à nouveau seul, le défi était un périple de 35 jours ayant pour but de vérifier s’il était possible de perdre le goût de faire du vélo :

  • La #1 de Abbotsford à Spences Bridge;
  • La Nicola Highway (#8) avant la #5A vers Kamloops;
  • À nouveau la #1 en direction de Monte Creek;
  • La Cariboo Highway (#97) suivie de la #97A vers Sicamous;
  • Pour une troisième fois la #1, cette fois-ci vers Revelstoke;
  • La Big Bend Highway (#23) suivie de la Selkirk Highway (#31) vers Nelson;
  • La Crowsnest Highway (#3), précédée de la #3A, de retour vers Hope;
  • La #5 sur toute sa longueur vers Tête-Jaune Cache;
  • La Yellowhead Highway (#16) vers Jasper;
  • La #93 sur toute sa longueur vers Cranbrook;
  • À nouveau la #3, dans ce cas vers Salmo;
  • La Nelson-Nelway Highway, au sud, et la Vernon-Slocan Highway, au nord, (#6) sur toute sa longueur vers Vernon;
  • La Westside Road longeant le lac Okanagan vers Kelowna.
Mosquito creek, Alberta – Photo par Félix-Antoine Tremblay

Pendant cette expédition ne comptant que trois cols de première catégorie, comme si la tâche semblait trop facile, des pluies torrentielles ont causé des inondations, des glissements de terrain et l’arrachement de certaines portions de la route, notamment le long de la #31, la seule autoroute non pavée de la Colombie-Britannique : définitivement les journées les plus palpitantes du voyage. Malgré tout, 35 jours après avoir débarqué de l’avion à Abbotsford, la station d’autobus de Kelowna était atteinte, pour une reprise du voyage de trois jours séparant l’Ouest canadien de Montréal.

Le verdict de ce troisième voyage : il est impossible de perdre le goût de faire du vélo.

Lac Bow, Colombie-Britannique – Photo par Félix-Antoine Tremblay
La routine

Cette année, n’ayant pas le luxe d’avoir cinq semaines de vacances, ce sont trois petits voyages qui ont occupé les quelques jours de repos d’un été bien rempli par un stage en entreprise. Le premier s’est déroulé sans problème, même mieux qu’espéré puisque réalisé en une journée de moins que prévu, et ce, malgré son caractère improvisé : organisé à 24 heures d’avis en raison de l’annulation d’un chantier. Un périple de 200 kilomètres à vélo de montagne, en trois jours, sur des routes fort mal cartographiées, guidé par une boussole, un odomètre et un esprit d’aventurier, le tout sans ravitaillement. Le deuxième s’est également bien déroulé, à nouveau en une journée de moins que prévu, cette fois-ci en combattant le mauvais temps. Un voyage de 650 kilomètres en 5 jours de Montréal, à Québec, à Vallée-Jonction, à Sherbrooke, à Montréal. Le troisième, ayant lieu au moment de publier cette édition, consiste en un tour de la Gaspésie et en un tour du lac Saint-Jean. 2 300 kilomètre en 19 jours¹ afin d’être de retour la veille de la première journée des classes.

Lac Batiscan, Québec – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Pourquoi?

Comme expliqué au tout début de ce texte, ce genre de voyage est rarement agréable, mais il permet de rencontrer des gens de tous horizons et de les sortir de leur routine, car il est bien rare au 21e siècle qu’un inconnu cogne à une porte pour avoir de l’eau ou pour utiliser une parcelle de pelouse pour y poser sa tente. Cela permet aussi de sortir de sa propre routine, fini le vélo-boulot-dodo, bienvenu le dodo-vélo-dodo! Lors de ces voyages, on peut compter sur des repas, des lits, des douches, du lavage, des lifts, des oreilles attentives et bien d’autres choses, offertes d’une ou d’un inconnu à un autre. Ce genre de choses ne peut être vécu en dormant dans des « tout inclus » ou en faisant un voyage de cyclotourisme organisé. Ce genre d’activité, bien que confortable d’un niveau matériel, ne saurait équivaloir au confort offert gracieusement par ses pairs. En apprenant à connaître les autres, on en apprend beaucoup sur soi.

Générosité au bord de la route et rencontre avec le cycliste Don Lesco – Photo par inconnu(e)
À venir…

Après quatre étés à vélo, l’aventure n’est toujours pas terminée. D’autres voyages sont dans les plans, ces derniers auront peut-être également droit à un article dans L’Heuristique :

¹ Finalement réalisé en 18 jours et d’une distance de 2 350 kilomètres

Cet article a d’abord été publié en septembre 2014 dans L’Heuristique, soit le journal étudiant de l’ÉTS. Il est reproduit sur ce blogue sur autorisation de l’auteur, en conformité avec Creative Commons [CC BY NC ND 4.0].