Lorsque Samuel et moi avons lancé l’expédition Route blanche il y a un peu plus d’un an, nous faisions face à de nombreuses incertitudes auxquelles nous avons tenté de répondre avant notre départ, mais plusieurs sont demeurées sans réponse. Maintenant que l’expédition est complétée, je peux y répondre!

Les vélos sont-ils interdits sur la Route blanche?

Non, la circulation à vélo n’est pas interdite sur la Route blanche. Tel que rapporté dans le document de projet rédigé préalablement à l’expédition Route blanche 2020, cela était notre avis au lancement du projet. Suite à la publication de ce document, un courriel du Ministère des Transports du Québec a attesté que les vélos à pneus surdimensionnés ne sont pas explicitement cités dans la réglementation.

Ultimement, des discussions avec des représentants de la Sûreté du Québec, sur place, ont confirmé qu’il n’était pas interdit de circuler à vélo sur la Route blanche.

Samuel Lalande-Markon sur la Route blanche – Photo par Félix-Antoine Tremblay
La Route blanche est-elle dammée?

Oui, mais le travail n’est pas effectué par des dameuses comme on peut en trouver sur les pentes de ski. Il s’agit plutôt d’appareils attachés derrière des motoneiges, lesquels égalisent la surface sans toutefois la compacter. Conséquemment, ces dameuses ne sont pas les « amies » des cyclistes, puisqu’elles remuent la couche de neige durcie et rendent généralement la piste impraticable.

Il est à noter que la Route blanche entre Mutton Bay et La Tabatière se situe au-dessus d’une route pavée, mais non déneigée et qu’elle est parcourue par une dameuse à proprement dit. Sa surface diffère donc de celle du reste de la Route blanche.

Est-ce que les vélos à pneus surdimensionnés flottent sur la neige?

Oui, mais pas sur toutes les surfaces de neige. Pour flotter sur la neige, les cyclistes sont portés à réduire significativement la pression de leurs pneus surdimensionnés, souvent jusqu’à moins de 10 PSI (0,7 bar). Cela est toutefois impossible avec un vélo chargé, puisque cela amène généralement le pneu à se déchausser. On ne peut donc pas réduire la pression des pneus pour augmenter la portance. De plus, le vélo chargé est, par définition, plus lourd qu’un vélo communément utilisé en sentier.

Deux ensembles de conditions permettent normalement l’atteinte d’une portance suffisante : l’absence de neige fraîche et un grand froid; ou de la neige fortement compactée. Sur une surface offrant une bonne portance, une accumulation de neige fraîche jusqu’à 5 cm peut être acceptable. Cela dit, une telle accumulation rend difficile la navigation, puisque la piste peut être invisible sous la neige.

Neige fraîche sur la Route blanche – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Le soleil peut-il aveugler les cyclistes?

Oui, cette condition se nomme la cécité des neiges ou la photokératite, mais l’usage de lunettes solaires à protection UV permet d’éviter ce problème. La visibilité est toutefois réduite lorsque le soleil est obstrué par un couvert nuageux. Dans de telles conditions, la lumière est diffuse et ne crée pas ou peu d’ombres sur la neige. Conséquemment, il est difficile, voire impossible, de discerner le relief de la surface de neige et la position de la piste. De telles conditions peuvent empêcher les cyclistes d’utiliser leur vélo.

Est-il nécessaire de transporter des raquettes et un traîneau?

Non, puisque le passage des motoneiges crée une surface suffisamment dure pour pousser les vélos. À moins d’une tempête hivernale causant plusieurs dizaines de centimètres de précipitations sous forme de neige, tout porte à croire qu’il ne serait pas plus rapide de pousser son vélo que d’utiliser un traîneau. Cela dit, pousser un vélo chargé est tout sauf ergonomique et le faire pendant une journée entière est très inconfortable.

Quant à l’usage d’un traîneau pour transporter ses bagages, cela n’apparaît pas souhaitable. Un tel montage aurait pour avantage de réduire la charge sur le vélo, et donc d’augmenter sa capacité à flotter sur la neige. Cela dit, en terrain accidenté, un tel traîneau rendrait le maintien de l’équilibre presque impossible. De plus, un traîneau crée de la friction, laquelle ralentit la progression.

En ce qui a trait aux raquettes, au même titre qu’une pelle à neige, celles-ci sont notamment utiles lors de l’installation des campements. Cela dit, il convient de se questionner quant à leur nécessité, considérant leur masse avoisinant 2 kg par paire. Corollairement, faute de traîneau et de raquettes, des bâtons de marche sont inutiles.

Traîneau d’urgence – Photo par Samuel-Lalande Markon
Votre équipement était-il adéquat?

Oui, la liste d’équipement rapportée dans l’article Matériel pour l’expédition Route blanche était tout à fait adéquate pour l’expédition. On peut se procurer une partie de ce matériel chez nos partenaires Arkel, Blivet, DeNolin, Panorama Cycles, Tel-Loc et The North Face.

Campement sur la Route blanche – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Avez-vous parcouru la distance journalière prévue?

Oui, nous avons réussi à parcourir la distance prévue en moyenne. La prévision était de 40 km par jour, avec une journée en surplus pour chaque tronçon entre deux villages, sauf exception. En définitive, nous avons parcouru entre 30 et 50 km tous les jours, en excluant les journées où nous avons atteint un village où nous avions prévu un arrêt pour la nuit.

Notre vitesse se situait entre 5 et 15 km/h lorsqu’en selle et entre 3 et 5 km/h lorsqu’à pied, et ce, en relief plat. Comme prévu dans notre document de projet, notre vitesse moyenne était un peu supérieure à 5 km/h, mais une journée complète (8 h) d’effort nécessitait énormément d’énergie.

Notre expérience a montré que, à moins d’une tempête hivernale, il devrait être possible de parcourir minimalement 25 km par jour, soit en marchant toute la journée dans de mauvaises conditions. Cette distance journalière, sans ajout de journée en surplus, apparaît comme était une méthode plus précise de planifier une expédition à vélo sur la Route blanche.

Une tempête hivernale devrait être suffisamment prévisible pour ajuster la planification en cours de route et ne pas manquer de ressources. Cependant, en cas d’urgence, les refuges et le rationnement de la nourriture peuvent éventuellement permettre de pallier respectivement un manque de carburant ou de vivres.

Avez-vous manqué de nourriture?

Non, nous avons même eu trop de nourriture. Cette situation nous a d’ailleurs poussés à renvoyer à l’expéditeur le ravitaillement postal de La Tabatière. Notre planification conservatrice et notre performance ont causé une accumulation significative de ressources, au point où ce ravitaillement était inutile, voire contre-productif. Une utilisation restreinte du carburant et un arrêt à Tête-à-la-Baleine ont permis de consommer ces ressources en cinq jours, entre Chevery et Pakua Shipi, plutôt que quatre.

En somme, les ravitaillements postaux de La Tabatière et de Vieux-Fort, soit les deux plus petits de l’expédition, auraient pu être omis. En effet, de Chevery à Pakua Shipi, on trouve les villages d’Harrington Harbour, de Tête-à-la-Baleine, de Mutton Bay et de La Tabatière. Quant au tronçon de Vieux-Fort à Blanc-Sablon, on trouve les villages de Rivière-Saint-Paul et de Middle Bay. À cet endroit, il est aussi possible d’emprunter la route 138 plutôt que la Route blanche.

Il est à noter que notre alimentation sur la route était basée sur une consommation moyenne d’un peu plus de 3 000 calories. Cette consommation n’aurait pas été suffisante à long terme, n’eût été de la présence de villages le long de la Route blanche où il était possible de s’alimenter plus pour compenser. En hiver, on doit considérer que la consommation calorique est plus élevée, en raison du froid.

Cuisiner sur la Route blanche – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Avez-vous manqué de carburant?

Non, mais notre estimation était un peu trop conservatrice. Conformément à l’article Les leçons d’une première expédition, notre consommation était inférieure à celle que nous avions calculée. Nous avons de plus augmenté l’efficience de nos méthodes en faisant fondre une plus grande partie de la neige le matin. En effet, plutôt que de faire fondre de la neige pour remplir nos bouteilles en soirée, nous avons plutôt choisi de le faire à notre réveil. Ce faisant, la routine matinale était un peu plus longue, mais cela évitait d’avoir à réchauffer cette eau une seconde fois, ce qui représente une consommation supplémentaire de carburant.

De plus, nous avons systématiquement consommé moins que 2 L d’eau durant la journée. Conséquemment, nous avons réduit la production d’eau pour cette fin à 1,5 L par personne par jour, pour une consommation totale d’environ 3,75 L par personne par jour.

En conclusion, il apparaît qu’une consommation de 250 ml de carburant par jour, par personne, est plus représentative de celle que nous avons observée sur la Route blanche. Conséquemment, en supposant toujours un approvisionnement complet en eau chaude au départ des points de ravitaillement, le transport de 1,5 L de carburant pour deux personnes, et ce, pour une autonomie maximale de 4 jours*, apparaît plus adéquat que celui de 2 L.

*L’eau du premier déjeuner, du premier dîner et du quatrième souper est omise, puisque l’on pose l’hypothèse d’un départ des villages avec des réserves d’eau chaude le premier jour et un souper au prochain village le quatrième jour.

Avez-vous manqué d’électricité?

Non, mais notre estimation était trop conservatrice. Tel que rapporté dans le document de projet rédigé préalablement à l’expédition Route blanche 2020, nous avions prévu circuler en permanence avec le phare avant et le feu arrière allumés. Cela dit, puisque le Ministère des Transports du Québec ne nous a pas fait part de cette exigence dans nos échanges, nous avons choisi de nous en abstenir. Conséquemment, notre consommation était significativement réduite, mais nous n’avons pas refait nos calculs. Bien que le transport d’une batterie d’appoint demeure souhaitable, une seule batterie d’environ 10 000 mAh, plutôt que deux, aurait suffi. Avec un rationnement de l’utilisation, il aurait été possible de n’en transporter aucune.

Refuge 11 sur la Route blanche – Photo par Félix-Antoine Tremblay
Peut-on dormir dans les refuges?

Non, et si c’était le cas, cela n’apparaît pas souhaitable. Le Ministère des Transports du Québec est limpide sur cette question : il s’agit de refuges d’urgence, dédiés exclusivement à cette fin.

Cela dit, la réalité est que ceux-ci sont utilisés par de nombreux motoneigistes, lesquel(le)s y laissent leurs déchets, notamment des bières vides. Dans l’éventualité où on y passerait la nuit, il ne serait d’ailleurs pas surprenant de se faire réveiller par des motoneigistes nocturnes voulant y faire un arrêt.

De plus, s’il est bénéfique de faire sécher ses vêtements et de se protéger du froid, l’usage constant de ces refuges ne saurait assurer un transit productif sur la Route blanche. En effet, quiconque s’aventure dehors l’hiver depuis son confortable domicile sait très bien que l’air semble beaucoup plus froid avant qu’on ne s’y habitue. De plus, ce confort relatif ne saurait que retarder, chaque jour, le départ vers les conditions hostiles prévalant sur la Route blanche.

Il est à noter que les refuges sont fournis en bois de chauffage et disposent d’un poêle. Ils sont disposés entre 9 et 23 km l’un de l’autre entre les villages. Chaque refuge contient une carte de la Route blanche et la distance à parcourir, de part et d’autre, vers le village suivant, ainsi que vers les prochains refuges et points de service.

Les motoneiges représentent-elles un danger?

Oui, mais les motoneigistes se comportent généralement de façon sécuritaire. À aucun moment, sur la Route blanche, nous n’avons ressenti un danger par rapport au passage des motoneigistes. Ceux et celles-ci circulaient à une vitesse raisonnable, probablement en deçà de la vitesse affichée, et modifiaient leur trajectoire de façon à laisser un espace sécuritaire pour nous dépasser.

Cela dit, une éventuelle collision avec une motoneige peut avoir de graves conséquences et la circulation lorsque la visibilité est mauvaise devrait donc être évitée. De plus, des mesures visant à maximiser la visibilité, notamment la nuit, devraient être adoptées pour minimiser ces risques.

Motoneiges sur la Route blanche à la tombée du jour – Photo par Samuel Lalande-Markon
Peut-on circuler sur la Route blanche si celle-ci est fermée?

Non, à moins d’accepter les risques que cela peut entraîner. Une chose est toutefois certaine, c’est que les hatibant(e)s de la Basse-Côte-Nord n’attendent pas le feu vert du Ministère des Transports du Québec pour circuler sur la Route blanche. Nous avons d’ailleurs circulé sur de nombreuses sections fermées, et ce, sans problème. Pour le moins, il semble que le Ministère soit très conservateur en ce qui a trait à l’ouverture de la Route blanche.

Cela dit, circuler hors du sentier ou lorsqu’il est fermé représente un risque et des incidents ayant entraîné la mort nous ont été rapportés par des habitant(e)s de la région. Si aucune trace de motoneige ne se trouve sur la Route blanche, ou si les balises ne sont pas présentes en son centre, la circulation devrait absolument être évitée.

Les vélos à pneus surdimensionnés sont-ils adéquats pour parcourir la Route blanche?

Oui, faute de quoi l’expédition Route blanche 2020 aurait été fortement ralentie. L’usage de vélos à pneus surdimensionnés est d’ailleurs vraisemblablement l’unique moyen de transport actif permettant de parcourir légalement la Route blanche. Il semble que celui-ci soit également le moyen potentiellement le plus rapide. En mode fast and light, on peut imaginer que chaque village pourrait être relié en une seule journée*, évitant du même coup le transport du nécessaire de camping.

Cela dit, cette rapidité est largement compensée par une consommation énergétique supérieure ainsi que par une variabilité significative en ce qui a trait à la distance parcourue journalièrement. En effet, sur la Route blanche, il est difficile, voire impossible, de prévoir à l’avance la capacité à parcourir une distance précise sur un vélo à pneus surdimensionné.

*Du point de vue de la sécurité, une telle stratégie serait cependant largement dépendante des refuges, puisque leur usage ponctuel serait probable.

Samuel Lalande-Markon sur un lac gelé, en périphérie de la Route blanche – Photo par Félix-Antoine Tremblay